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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/41

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par la promesse de récompenses serait une atteinte à la liberté de l’homme.

Il lui arrive cependant d’évoquer la solidarité de la religion et de la morale. Il le fait en particulier page 52, dans une remarque qu’il laissera tomber en 1806 et qui mérite d’être relevée. Il observe là que la religion est un complément nécessaire de la morale, indispensable, dit-il, pour rappeler l’homme à son rapport réel avec le Divin — rapport qui est celui d’un être borné avec l’Infini. À défaut de cette sauvegarde, en effet, l’individu donne dans l’outrecuidance, qui lui est fatale. « Vouloir philosopher ou agir (référence à la métaphysique et à la morale) sans religion, c’est une présomption téméraire, une hostile insolence à l’égard des dieux, c’est le malheureux esprit impie de Prométhée…, le sentiment de son infinitude, de sa ressemblance avec Dieu, l’homme ne l’a que comme un bien dérobé, et qui ne peut se développer en lui à son avantage qu’à condition qu’il ait en même temps le sentiment de ses limites. » Il ressort de là que le théologien romantique n’est nullement porté à s’égarer dans l’erreur que l’Église eut à combattre chez beaucoup d’ « illuminés », disposés, tels les Frères du Libre Esprit du moyen-âge par exemple, à se diviniser eux-mêmes par orgueil, en raison de la participation au divin que leur confère, d’après eux, l’intuition qu’ils en ont.

La réserve que formule ici le moraliste, intéressante en elle-même, l’est aussi par l’expression qu’elle revêt. Fond et forme semblent s’opposer pertinemment à l’un des grands thèmes de l’individualisme titanique du Sturm und Drang, au prométhéisme de Gœthe dans sa jeunesse, de même que tout à l’heure le romantique nous a semblé viser le subjectivisme de Fichte. On voit apparaître ici, nous verrons reparaître plus explicitement à la fin de ce deuxième discours chez le jeune romantique, le sens de la nécessité de l’autolimitation, si développé chez le Gœthe de la maturité et de la vieillesse, le sens qui inspirera au Schleiermacher plus réfléchi sa doctrine de la « dépendance absolue », dont il fera alors, dans sa Dogmatique, le principe fondamental de la religion.

Cet esprit de mesure, cette sagesse, paraît être chez lui vertu assez naturelle. Comme nous l’avons observé dès le début, il y a lieu de penser qu’il n’a pas eu à livrer de longs