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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/65

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est une fausse conception. Pour parvenir à la vraie universalité, il faut au contraire pénétrer à l’intérieur des choses et des êtres, afin de pouvoir les considérer du dedans, dans leur originalité profonde. Il ajoutera un peu plus loin que pénétrer ainsi dans l’originalité distincte des manifestations finies de l’Infini, c’est la condition pour se rendre compte de l’infinie diversité par où se manifeste sa fécondité infinie.

On est souvent tenté de rapprocher la pensée de ce romantique allemand de 1799 de celle de Bergson. Ici vraiment, le parallélisme s’impose entre cette idée et la définition bergsonienne de l’intuition : « On appelle intuition cette espèce de sympathie intellectuelle par laquelle on se transporte à l’intérieur d’un objet pour coïncider avec ce qu’il a d’unique et par conséquent d’inexprimable. »

L’idée qu’il faut, pour comprendre et juger choses et êtres, les considérer du dedans, selon leur nature originale, cette idée s’oppose à la conception rationaliste, qui entend tout apprécier à une même commune mesure. L’un et l’autre point de vue à sa légitimité sans doute. Le second, domine presque exclusivement aux xviie et xviiie siècles. On peut estimer qu’il était bon que l’utilité, la nécessité de l’autre fût aussi mise en lumière. Ce fut un des mérites de Herder, puis des romantiques, des frères Schlegel en particulier. Ils ont joint l’exemple au précepte, en interprétant les anciens d’abord, les modernes ensuite, et les plus grands, Dante, Calderon, Shakespeare, Goethe, de manière à faire connaître et apprécier dans chacun, à la fois ce qu’il a de plus individuel et original, et de plus universellement humain.

Après tant de remarques d’un caractère plutôt abstrait, en voici une tirée de l’observation de la vie, qui fournit à l’auteur une nouvelle arme contre les rationalistes, pages 153-154. Cherchant ce qui peut éveiller chez l’homme le sens religieux, il note : Dans la vie de l’homme, dans ses rapports avec l’Univers, il y a des ouvertures ménagées sur l’Infini, des points qui sont comme des points de vue auxquels chacun est conduit pour que son sens trouve le chemin de l’Univers, et pour que cette vision suscite en lui des sentiments qui ne sont pas encore la religion, mais qui y disposent. De semblables ouvertures, pratiquées sur l’Infini dans lequel baignent nos vies finies, sont le commencement et la fin de celles-ci, la naissance et la mort. Or, les ratio-