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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/80

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Ce serait une société extrêmement fluide et fluente, sans cadre arrêté, pas plus ecclésiastique que dogmatique. Le romantique sait voir qu’une telle église-communauté, s’il s’en trouve des exemplaires, dans les conventicules piétistes entre autres, n’existe pas à l’état de vaste institution englobant un très grand nombre de croyants. Il reconnaît l’utilité des grandes sociétés religieuses existantes : elles peuvent servir de cadre pour ceux qui, n’ayant pas de religion personnelle, gagneraient à en avoir une, même banale, même d’emprunt. Mais il insiste surtout sur l’absence de vraie vie religieuse dans ces corps que n’anime pas un esprit assez vivant et vivifiant. Il reproche aux Églises constituées la faiblesse du sentiment religieux chez les fidèles, et la propension à donner plus d’importance aux dogmes abstraits qu’aux expériences sentimentales personnelles. Ces vices, capitaux selon lui, ont pour cause que les membres de ces corps ne se réunissent pas pour communier dans une religion dont ils ont fait et font l’expérience vécue, mais pour chercher une religion qu’ils n’ont pas, et qu’ils ne trouvent d’ailleurs pas, qu’ils ne peuvent pas trouver dans ces cadres, vides de vie religieuse véritable.

Tous ces défauts sont aggravés par un fait aussi général que regrettable : l’intervention de l’État dans l’Église, pages 210-225. Au nom de sa conception individualiste d’une religion vivante, en raison de sa formation première bien plutôt calviniste que luthérienne, et dans l’esprit de son piétisme, Schleiermacher plaide ici comme il la soutiendra toute sa vie (il en était déjà partisan en 1792-1793) la cause de la séparation de l’Église et de l’État. Sa conviction de la nocivité de l’autorité du second sur la première lui a inspiré le mouvement oratoire le plus fameux de ces Discours : « Vous avez raison de souhaiter que jamais robe de prêtre n’eût traîné sur le sol d’un palais royal ; mais souhaitons aussi que jamais la pourpre n’eût baisé la poussière du pied des autels, car sans ceci, cela ne serait point arrivé », page 210. Cette image a été citée, la conviction de Schleiermacher a été invoquée souvent, depuis près d’un siècle et demi, par les partisans de la séparation de l’Église et de l’État, principe qui a remporté dans divers pays les succès que l’on connaît. Ce programme n’a, bien entendu, dans l’esprit de Schleiermacher aucune pointe antireligieuse.