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Page:Schlick - Gesammelte Aufsätze (1926 - 1936), 1938.djvu/76

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1. Remarques préliminaires.

Le nombre de mondes physiques concevables et logiquement possibles est infini ; mais l’imagination humaine se révèle étonnamment pauvre lorsqu’elle tente d’imaginer et de concevoir de nouvelles possibilités. Son imagination est si étroitement liée aux conditions visuelles de l’expérience brute qu’elle peut à peine s’en éloigner d’un pas de sa propre initiative ; seule la contrainte stricte de l’expérience scientifique plus fine peut tirer la pensée plus loin de ses points de vue habituels. Le royaume le plus coloré des Mille et une nuits n’est formé que des éléments de construction du monde de la vie quotidienne, par des réarrangements au fond très minimes du matériel familier Et si l’on examine de plus près les systèmes philosophiques les plus profonds et les plus audacieux, on constate qu’il en va finalement de même pour eux : si pour le poète, il s’agissait de construire avec des images évocatrices, pour le philosophe, il s’agit de construire avec des concepts plus abstraits, mais néanmoins habituels, à partir desquels de nouvelles structures sont formées à l’aide de principes combinatoires assez transparents.

Le physicien ne procède pas autrement dans la formation de ses hypothèses. C’est ce que montre en particulier la fréquence avec laquelle il s’est accroché pendant des siècles à la croyance que l’explication de la nature nécessitait une reproduction des processus à l’aide de modèles représentables par les sens. Par exemple, il a toujours voulu donner à l’éther lumineux les propriétés de substances visibles et tangibles, alors qu’il n’y avait pas la moindre raison de le faire. Ce n’est que lorsque les faits observés lui suggèrent ou lui imposent l’utilisation de nouveaux systèmes conceptuels qu’il voit les nouvelles voies et se détache de ses habitudes de pensée antérieures — mais alors aussi volontiers, et il fait facilement le saut, par exemple, vers l’espace riemannien ou le temps einsteinien, vers des conceptions aussi hardies et profondes que ni l’imagination d’un poète ni l’intellect d’un quelconque philosophe n’avaient pu les anticiper.