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leur humeur particulariste, étaient très fréquemment en guerre entre eux. Les hymnes nous parlent d’une foule de batailles[1], qui concourent à faire naître l’état social qu’on nomme la féodalité.

La carrière de la souveraineté n’était ainsi, en principe, fermée à personne (le premier roi fut un soldat heureux), et celle du sacerdoce non plus (il ne fallait être que père de famille). Tout Arya pouvait donc devenir roi ou prêtre ; le prince comme le sacerdote sortaient avant tout du peuple, la substance sociale primigène et universelle ; ils étaient, comme le dit un bràhmana, le produit (foetus, garbha) de la viç. Devenu roi, l’Arya fréquentait sans doute une société conforme à sa position, la sabhà (βουλή), où il se rencontrait avec ses cousins, les râjabandhus, et avec les rishis ; mais il n’évitait pas pour cela le contact du peuple, dont il était l’élu, et il se rendait volontiers dans l’assemblée des viças, la samiti[2] (λαῶν ἀγορή). Les prêtres n’aspiraient encore à occuper d’autre position privilégiée que celle qu’avaient chez les Grecs primitifs les Calchas et les Tyrtée, les bardes chez les Celtes et les Germains[3]. Les sacerdotes se recrutaient même dans la tribu aryenne la plus inférieure, parmi les Çûdras, ainsi qu’on le voit par le rishi Ajigarta, dont parle le bràhmana du Rik, l’Aitareya[4].

La caste n’existant pas dans cette première époque, il n’y avait par conséquent non plus aucun mot pour l’exprimer. Le terme de varna, couverture, qui servira plus tard à la désigner, n’est encore employé que dans le sens de « couleur ». La couleur est, en effet, une sorte d’enveloppe et de la sorte, pour marquer la différence de race entre les conquérants dont la peau était blanche et les aborigènes habillés d’un épiderme foncé, le choix du mot varna au sens de race se trouvait parfaitement justifié. Il est dit de tel rishi qu’il protégeait les deux couleurs, ubhau varnau, c’est-à-dire deux races opposées, les Aryas et les Dasyus.

Que l’idée de caste proprement dite n’est encore pour rien dans l’emploi dudit mot, c’est ce qui ressort avec évidence de ce fait que les aborigènes, les gens de couleur, se sont trouvés en dehors de tout varna, quand varna a désigné la caste. Le varna-couleur devenu varna-caste ignorait les Dasyus, et jamais un dasyu n’a fait, rite, partie d’un caste quelconque. Les fils de Viçvâmitra répudiés par leur père et dont la malédiction paternelle fait des dasyus étaient des pseudo-dasyus, comme le devenaient en général ceux qui avaient perdu leur caste et auxquels, pour mieux les noter d’infamie, on infligeait le nom de « voleur » ; ce qui est le sens reçu du mot dasyu. Il faut donc reconnaître qu’il y a une intention symbolique dans l’emploi du mot couleur

  1. R. V. I, 167, 2 (II, 308) ; VIH, 4, 9 (IV. 329) ; IX 92, 6 (V. 269) ; X. 97, 6 (VI, 294).
  2. R. V., I, 179, 2 (11, 356).
  3. V. Rig., V. I, 33, 2 ; ib. 51, 1 ; X, 111, 1 (VI, 376) ; X, 27, 2 (V, 504) où le zhantre lui-même dit : « Je pousse au combat : aham yudhaye sannayâni. »
  4. Aithar. brâhm., VII, 17 ; p. 183, Haug.