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auteur. La preuve péremptoire, c’est que ce régime n’existe nulle part ailleurs que dans l’Inde, et que sa force coercitive y est telle que même les Européens, fussent-ils inaccessibles aux influences étrangères comme les Anglais, ne peuvent s’y soustraire. Il arrive au sujet de ce régime aux Européens qui séjournent longtemps dans le pays, ce qui arrivait aux anciens relativement au culte du crû que les Égyptiens rendaient au serpent, à l’anguille, à l’oie, à la huppe, au chien et au chat. Quand ils voyaient cette religion pour la première fois, les Grecs n’en faisaient que rire comme d’une chose absolument inepte et stupide, et je pense qu’ils n’avaient pas tort. Mais les choses de ce monde se gouvernent d’une façon étrange, et les Grecs, quand ils avaient assez ri du spectacle que leur présentait la terre des pharaons, en éprouvaient une impression qui ne ressemblait en rien à leur gaieté de tout à l’heure : c’était une sorte de vertige moral qui les forçait d’adopter, et qui le croirait, d’exagérer même le culte insensé des bêtes et des ognons[1]. Il est de fait que personne ne professa la religion nationale des Égyptiens avec plus de zèle, de ferveur, voire de fanatisme que la race grecque des Lagides, et cela pendant trois cents ans. Avant les Grecs, les Hycsos et les Hébreux avaient subi la même influence tyrannique. Chez les Juifs, les livres bibliques nous permettent de suivre la trace de ce vertige, de ce ravage mental, depuis Moïse jusqu’à Ézéchiel au moins, pendant douze siècles. Ézéchiel marque expressément que ceux d’entre les Israélites qui se laissèrent aller à l’imitation du culte des reptiles et des autres bêtes en usage chez les Égyptiens, furent les chefs de la nation, les anciens de la maison d’Israël, les sages[2] ! N’est-ce pas le cas de s’écrier avec Lucrèce : Tantum religio potuit suadere malorum ?

Eh bien, les Européens, les chrétiens qui ont séjourné dans l’Inde depuis un certain nombre d’années, et aussi, qui plus est, les Mahométans[3], restés insensibles, on le sait, aux séductions de la religion de l’Égypte pharaonique et qui en outre sont les hommes les moins disposés, par tempérament naturel et par religion, à pratiquer l’inégalité sociale ; les chrétiens et les musulmans en sont au sujet des castes indiennes là où en étaient les Juifs et les Grecs par rapport aux animaux égyptiens. L’influence du régime sur les Européens dans le milieu ambiant qui l’a produit, va jusqu’à dicter à un prélat missionnaire français, à l’évêque Meurin de Bombay, les paroles que voici : « Le régime des castes n’est pas si mauvais qu’on l’a dit ; c’est au contraire une chose bonne et louable. Aussi ai-je fait à Rome la proposition que le régime fût reconnu par les missionnaires chrétiens et qu’on reprit hardiment les agissements du P. de

  1. Ideoque qui primi in Aegyptum peregre profecti sunt, utique prius, quam ejus regionis amentiam animis imbibissent, risu propemodum enecti sunt, etc. (V, Philonis Judaei Opera, II, p. 194 ; éd. Thom. Mangey, 1742, in-fol.).
  2. איש םזקני בית ישראל (Ézéchiel, VIII, 10 sq.).
  3. Garcin de Tassy, Mémoires sur les noms propres et sur les titres musulmans, p. 108.