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tude des çûdras n’a jamais été l’esclavage des nègres[1]. Le çûdra jouit de ce que les Allemands appellent la freizügigkeit, c’est-à-dire qu’il lui est loisible d’aller où il veut. Celui qui est pris sous le drapeau ennemi, le dhvajâhrita[2], le prisonnier de guerre devient seul esclave dans la force du terme. Mais quant au çûdra, il fait partie de la société aryenne ; il en est membre, membre titulaire au degré le plus inférieur, comme il convient à sa prétendue origine. Le brâhmane même doit lui témoigner de la bienveillance[3], et, arrivé à un âge très avancé, il peut y exiger, de par la loi[4], les respects, mânârhah, des dvijas qui sont plus jeunes que lui. En outre, ce qui est fait pour étonner, le çûdra, par une succession de certains mariages, peut devenir brâhmane, çûdro brâhmanatâm eti. La loi est formelle[5]. Dès lors on comprend la remarque de Jacquemont, que l’esclavage dans l’Inde est si doux que tous les jours il devient volontairement l’état de beaucoup de gens.

Maintenant quelle était l’opinion de Mégasthène sur le système ? Comment se l’expliquait-il ? Il ne le dit pas, et on ne peut le savoir que par induction. De l’ensemble de son exposé, il résulte, je crois, qu’il regardait le régime des castes comme un système social fondé et maintenu par la politique. Pas un mot de lui ne permet de penser qu’il lui attribuait un fondement religieux : ce ne sont pas les prêtres qu’il voit dominer, c’est le roi et toujours le roi. C’est le roi qui appelle chaque année les philosophes en service de philosophie pratique, pour m’exprimer ainsi[6] ; il les convoque en assemblée pour les consulter ou pour entendre ce qu’ils ont d’utile à produire ; mais il ne laisse pas de voir en eux des sujets et de les traiter comme tels, par les récompenses qu’il leur accorde ou par les peines qu’il leur inflige. « Celui d’entre eux qui s’est trompé trois fois de suite, il le condamne à se taire le reste de sa vie. Il gratifie, par contre, de l’exemption de tout impôt celui dont les observations ont été trouvées justes : ὃς δ’ ἂν τρὶς ἐψευσμένος ἁλῷ, νόμος ἐστὶ σιγᾷν διὰ βίου· τὸν δὲ κατορθώσαντα ἄφορον καὶ ἀτελῆ κρίνουσι[7].

Mais ce qui paraît démontrer plus que toute autre chose que l’envoyé de Séleucus ne soupçonnait pas même le caractère religieux du régime des castes, c’est qu’il comprend comme partie intégrante du système, nous l’avons vu déjà, la classe des pâtres et des chasseurs. Passe encore

  1. Cf. Dubois, Mœurs, etc., I, 1. Jacquemont, Voy. dans l’Inde, I, 244.
  2. Mânav., VIII, 415.
  3. Anriçansyam prayojayan. (Mân., 111, 112. Cf. X, 124 sqq.)
  4. Ib. II, 137 ; Yajnav., I, 116.
  5. Mân., X, 65.
  6. Mégasthène distingue deux classes de brâhmanes ou philosophes : les brâhmanes proprement dits et les Sarmanes : ὧν τοὺς μὲν Βραχμᾶνας καλεῖ, τοὺς δὲ Σαρμάνας. (Ap. Strab. XV, p. 711). De ces derniers, les plus honorés sont les Ὑλόϐιοι, les ascètes retirés dans les bois, les Vânaprasthas dont Hérodote avait déjà connaissance. (Hérod. III. 100).
  7. Ap. Schwanbeck, p. 122. Cf. Yajnavalkya. II, 302.