Page:Schoebel - Inde française, l’histoire des origines et du développement des castes de l’Inde.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 7 —

est versé dans la connaissance des Védas, le Vedabrâhmana. Or, il n’y en a pas beaucoup ; la plupart des brâhmanes se contentent d’âtre de leur caste par la naissance, d’être des Jâtibrâhmanas, des brâhmanes de nom, des brâhmanakas[1], qui ne savent dire Aum que pour oublier Bhûh ou dire bhûlr pour oublier aum[2].

Diodore était parfaitement renseigné sur l’impossibilité où est le brâhmane d’être esclave ou servant. La servitude, dit la loi, c’est la vie des chiens, çvavritti ; le brâhmane doit donc s’en dispenser avec le plus grand soin, sevâ pravivarja yeta. Là où Diodore est dans l’erreur, c’est quand il dit que le brâhmane n’est non plus le maître de personne. Mais suivant la loi, comme nous l’avons vu déjà ; le brâhmane est le maître de tout : sarvan svan brâhmanas ; il est de droit, dharmato, le seigneur de toute la création[3], et cela parce qu’il est le premier né. Le prestige de la naissance brâhmanique est tel qu’un homme, n’eût-il d’autre recommandation que celle-là, peut être choisi par le roi pour interprète de la loi : dharmapravaktâ[4].

Diodore dit aussi comme Mégasthène : « Chez les Indiens, il n’y a point d’esclaves ; tous les hommes sont libres et doivent respecter l’égalité : ἐλευθέρους δ’ὑπάρχοντας τὴν ἰσότηρα[5]. Passons sur l’égalité ; appliqué aux Indiens, le mot est d’une cruelle ironie, et quant à la liberté, prise à la lettre, l’assertion aussi, nous l’avons déjà montré, est fausse. Ce qu’on doit admettre seulement, c’est qu’en effet la loi règle tous les rapports des Indiens entre eux, et que, de cette manière, tout Indien est libre et indépendant dans des limites exactement déterminées. Et Diodore en conclut : « Les hommes qui apprennent à n’être ni les maîtres ni les esclaves de leurs semblables, offrent la garantie de la meilleure société : τοῦς γὰρ μαθόντας μέθ ὑπερέχειν μέθ ὑποπίπτειν ἄλλοις κράτιστον ἕξειν βίον πρὸς ἁπάσας τὰς περιστάτεις. » Si seulement la réalité répondait à la théorie !

Notre auteur avance encore que chez les Indiens les agriculteurs sont réputés sacrés et inviolables : παρὰ δέ τούτοις τῶν γεωργῶν ἱερῶν καὶ ἀσύλων ἐωμένων[6]. Ne dirait-on pas que l’agriculture fût en grand honneur chez les Indiens, mais il n’en était rien. Il n’en était pas chez les Indiens comme chez les Romains ; Cicéron a pu dire : Il n’y a rien de meilleur que l’agriculture, rien n’est plus digne d’un homme libre[7]. C’est une pure déclamation, car il est de fait qu’il n’y a pas d’homme plus asservi que celui qui laboure et bêche la terre ; mais enfin passons l’assertion à Cicéron, puisque les Romains étaient un peuple d’agricul-

  1. Il en est question dans le Mahâbhârata, XII, 9733, et al.
  2. Cf. Burnouf, Introd. à l’hist. du Buddhisme, p. 139. Cf. Mânav., I, 97.
  3. Sarvasyaivâsya sargasya dharmato brâhmanah prabhuh. (Mânav., I, 93.)
  4. Ib., VIII, 20.
  5. Diodor., II, 39.
  6. Diod., II, 36.
  7. « Nihil agricultura melius, nihil dignius homiue libero. »