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ne s’égare. Cette caste peut prendre des femmes en mariage chez les brahmes, mais non les brahmes chez eux. Viennent ensuite les Cherdoucé : ils sont laboureurs et agriculteurs ; puis les Besié, qui sont artisans et ouvriers ; puis les Sebdalié, qui sont chanteurs, et qui possèdent des femmes renommées par leur beauté ; puis les Zekié, qui sont jongleurs, bateleurs et joueurs de divers instruments[1]. »

Voilà, sur les castes les données, bien certainement embrouillées[2], d’un géographe du XIIe siècle qui passe pour avoir su sur toutes les nations ce qu’il était possible de savoir alors. Il est donc probable que Maçoudi, qui visita, au commencement du Xe siècle, une partie de l’Inde, mais que, dans ses « Prairies d’or » traitant au chapitre VII de l’Inde, ne dit rien des castes, assurant qu’il a parlé des institutions indiennes dans d’autres de ses ouvrages que malheureusement nous ne connaissons pas ; il est probable, dis-je, que Maçoudi n’a pas été plus explicite sur le sujet qu’Edrisi, son compilateur, et dont rien d’ailleurs ne nous permet de deviner la pensée sur l’origine du système. Il est, du reste, probable qu’il n’en avait pas ; je l’infère de sa manière d’échelonner les castes.

Abordons maintenant les voyageurs européens. Sauf l’unique Marco Polo, qui est encore du moyen âge[3], ils sont tous de l’époque moderne. Malheureusement, le régime des castes n’a guère attiré l’attention d’habitude si éveillée de l’intrépide voyageur vénitien ; il paraît ne connaître que les Abramains, comme il appelle les brâhmanes. Et encore, les confond-il, dirait-on, avec les vaiçyas, puisqu’il parle d’eux comme des « meilleurs marchands du monde »[4]. Pour avoir quelques renseignements détaillés sur le sujet, il faut descendre jusqu’au delà du milieu du XVIe siècle, jusqu’à l’immortel Camoëns, toujours malheureux et mort dans la misère. Le grand poète vécut, entre 1553 et 1567, plusieurs années dans le midi de l’Inde, et, incidemment, mais avec une rare exactitude, il parle, dans les Lusiades, des castes du Malabar[5]. Je dis, avec une rare exactitude, car des siècles après lui, les meilleurs voyageurs, comme par exemple Duncan, Buchanan, Graul, sont venus confirmer par leurs observations celles du chantre des gloires portugaises. « La nation, dit Camoëns, se partage en deux classes : les Naïrs et les Poléas (homme de charrue). (J’ouvre ici une parenthèse pour dire que

  1. Géographie d’Edrisi. tr. Jaubert, I, p. 98.
  2. Je le conclus de ce qu’il met les vaiçyas (Besié) après les çûdras (Cherdoucé), puis surtout de ce qu’il place les brâhmanes en seconde ligne, ce qui n’a lieu nulle part dans l’Inde. Les Naïrs même reconnaissent au-dessus d’eux les Nambirs qui forment la haute noblesse sacerdotale et fournissent les pûjaris, les prêtres officiants.
  3. Je ne compte pas certain patriarche des Indes, nommé Johannes, qui vint à Rome au temps de Calixte II, en 1122, et étonna le Pape et toute l’Italie par ses récits sur les choses de l’Inde. Mais des castes, pas un mot. (V. Fr. Zarncke, dans Abhandl. der ph. hist. Classe der sâchs. Gesell. der Wiss., VII, 5, 1879).
  4. Voyages de Marco Polo, éd. Pauthier, p. 622.
  5. Luis de Camoëns, Os Lusiadas, VII, 37-41 ; X. 11.