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appelle les candâlas et les pariahs des proscrits qui, par leur mauvaise conduite, ont perdu tous les privilèges, all the privileges of it[1].

Ce n’est pas là s’exprimer avec justesse. D’abord ce qui fait les candâlas et les pariahs ce n’est pas la mauvaise conduite ; personnellement, ils ne sont pour rien dans l’état dégradé où ils vivent ; ils sont ce qu’ils sont, ou, parce qu’ils sont nés d’un mariage illicite, ou, parce qu’ils sont out-laws d’origine, qu’ils font partie d’un peuple aborigène, sauvage. Puis, c’est peu connaître le caractère de l’institution que de dire que l’expulsion d’une caste est la perte de tous les privilèges. Le privilège constitue un avantage exclusif concédé à une communauté ou à un particulier. Mais l’institution des castes loin d’être un privilegium, c’est l’établissement de la nation même, la loi générale du peuple indien, comme Mégasthène déjà l’avait si justement remarqué par le τὸ τῶν Ἰνδῶν πλῆθος, et comme un voyageur moderne l’a constaté sur les lieux, dans le sentiment des indigènes, quand il dit : « Les Indiens ne comprennent pas qu’une nation puisse exister sans caste, et quand on leur dit Russe, ils prennent cela pour une caste particulière d’Anglais[2]. » La première question, d’ailleurs, qu’un Indien qui entre au service d’un Européen fraîchement débarqué lui adresse, est : Monsieur de quelle caste est-il dans son pays[3] ?

Du reste, Robertson, corrige sans le savoir, son erreur en remarquant que les règlements du gouvernement civil sont faits non pour ce qui est extraordinaire, mais pour ce qui est commun[4]. « L’objet des premiers législateurs indiens fut d’employer les moyens les plus efficaces de pourvoir à la subsistance, à la sûreté et au bonheur de tous les membres de la communauté qu’ils régissaient. Dans cette vue, ils destinèrent certaines races d’hommes à chacune des diverses professions et des arts nécessaires à une société bien ordonnée, et déterminèrent que l’exercice en serait transmis de père eu fils successivement. »

Ne nous arrêtons pas à ce qu’a de trop a priori, de doctrinal et de sentimental, suivant l’esprit du xviiie siècle, cette explication de l’arrangement de la société de l’Inde ; n’en retenons que le fond, à savoir que ce ne sont pas les situations exceptionnelles ou privilégiées qui constituent l’état social indien, mais que cet état est fondé, comme l’exige l’intérêt commun, sur un ensemble de divisions naturelles. Robertson est ainsi bien plus dans le vrai que Montesquieu qui n’admet pour l’établissement des castes que la raison « des préjugés de religion » et exclut, en conséquence, de ces « distinctions de famille » tout motif de « distinctions civiles ». Montesquieu avait beaucoup d’esprit et

  1. Ouvr. c., p. 339.
  2. Soltykoff, Voyages dans l’Inde, I, 200, 2e édit.
  3. Vinson, Les castes du sud de l’Inde, p. 153, Revue orient., 1868.
  4. The arrangements of civil government are made, not for what is extraordinary but for what is common. (An historical, etc., p. 260).