Page:Schoebel - Inde française, l’histoire des origines et du développement des castes de l’Inde.djvu/39

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rapports extérieurs aussi bien que leurs privilèges religieux et politiques, constituaient proprement la nation indienne. Hérodote remarquait déjà que l’Inde est habitée par un grand nombre de peuples qui ne parlent pas la même langue. La religion est le seul lien qui ait uni ces peuples et en ait fait un seul corps de nation. Il parait certain, toutefois, que les castes inférieures, qu’on reconnaît à une couleur beaucoup plus foncée, furent les habitants primitifs de l’Inde que les castes dominatrices s’assujettirent par la religion et peut-être aussi par la force des armes[1]. »

Une fois cet assujettissement opéré, un nouvel ordre de famille s’établit. La conservation et le maintien de la famille par des descendants mâles devint, aux yeux de l’Indien, de la plus haute importance, et le système politique de la descendance sans mélange acquit toute la force d’une institution religieuse[2]. L’organisation de la société en castes devint ainsi une loi découlant de Dieu en personne, et dès lors on ne put y toucher sans crime ni, à plus forte raison, la réformer ou la changer. « Nous ne prétendons pas qu’il fût impossible de faire entrer un rajah dans la caste des brahmanes, mais il est certain que cette caste ne consentait que difficilement à ces adoptions, puisque la fable indienne n’en cite qu’un seul exemple, celui de Viçvâmitra, qui avait obtenu cette faveur par des pénitences inouïes[3]. »

Viçvâmitra, dont l’histoire légendaire est narrée tout au long dans le premier livre du Râmâyana et que Vaçishta réconcilié admet dans la caste brâhmanique par la parole sacramentelle : « Astu iti ! approuvé ! » après avoir donné au nouveau confrère l’accolade de l’amitié[4], Viçvâmitra n’est pas précisément, comme Heeren l’a cru, le seul exemple du passage d’une caste inférieure à une caste supérieure, et Colebrooke avait déjà remarqué que la barrière entre les diverses castes n’est pas établie de façon à la rendre insurmontable[5] ; mais il ne faut pas y regarder de trop près quant aux détails dont notre historien nourrit son argumentation. Il est certain, d’ailleurs, que cette concession faite à la nature humaine dont parle Colebrooke n’enlève rien à ce que la loi a d’inflexible au fond. Aussi, s’autoriser à conclure, comme le fait Rickards, des accrocs qu’on infligeait au code, et qu’on continue de lui infliger, par les mésalliances surtout, que la loi des castes n’existe plus in a perfect state, que tout le système est nul et de nulle valeur, qu’il faut expliquer l’état social et économique des Indiens par d’autres

  1. Heeren, De la politique et du commerce des peuples de l’antiquité, III, 357 sqq ; tr. Suckau.
  2. Cf. Mân., III, 12-15 ; X, 5 sqq. Yajnav., I, 90.
  3. Heeren, ouvr. c., p. 317.
  4. Râmâyana, I, ch. 20-65. Sakhyan cakâra brahmarshir evam astviti câbravit. ( Ib., 65, 23).
  5. The limitations, far from being rigorous, etc. (Colebrooke, Enumeration of Indian Classes, dans Asiat. Researches, V, 64 ; 1799.