Page:Schoebel - Inde française, l’histoire des origines et du développement des castes de l’Inde.djvu/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tocrate comme on sait, renfermait, qui le croirait ! 83 souverainetés particulières. Il est connu d’ailleurs et de reste qu’aucun peuple ne forme plus aisément des sociétés fermées que les Allemands. Et dès qu’une telle association s’est établie chez eux, elle constitue un groupe qui ne transigerait pas pour beaucoup avec un groupe voisin.

Je viens à Carl Ritter. Ce savant géographe, partisan doctrinal des causes ambiantes, tout à l’opposé du missionnaire Dubois, ne recule pas assez l’âge du régime des castes. Il pense que l’établissement, avec le caractère dogmatique que lui donnent les codes, et spécialement le code manuen, n’existait pas encore dans l’ouest de l’Inde au temps d’Alexandre[1]. La restriction est excessive ; si toutefois on veut l’admettre, elle ne pourra l’être que pour le Pendjâb et le Sindhy, les seules parties de l’Inde que le grand conquérant a foulées pendant quelques mois. Pour le Pendjâb, qui, du reste, ne fut jamais une terre franchement brâhmanique, on peut admettre la restriction même encore aujourd’hui. Burnes, qui a parcouru les pays de l’Indus, il y a une cinquantaine d’années, assure que les habitants s’approvisionnent à la boulangerie communale et non chacun à son propre four, comme cela se fait, crainte de souillure, dans l’Indoustan[2]. C’est dans l’Indoustan, dans le Brahmarshi, entre Delhi et Agra, que Manu place l’acte de l’institution des castes, et « c’est de la bouche d’un brâhmane né dans ce pays, etad deçaprasûtasya, que tous les hommes sur la terre doivent apprendre leurs règles de conduite spéciale. »

On conçoit que la politique des brâhmanes ait tout intérêt à faire passer cela pour révélation primordiale, infaillible ; on n’en agit pas autrement chez nous ; mais Ritter, sans admettre cette donnée théologique, pas plus qu’aucune autre, aurait dû pousser plus à fond son enquête, et alors il aurait vu que l’origine du système n’a pas le caractère exclusivement religieux qu’il pense[3], tout en récusant l’autorité historique de Manu.

Ce que Ritter a bien vu, est que le système ne s’est pas toujours et partout maintenu avec le caractère originel qu’il lui attribue, qu’il est devenu çà et là purement civil, à Ceylan par exemple, et partout où a prévalu le buddhisme. C’est ce qu’on peut déjà conclure du ton dont les auteurs buddhiques parlent du régime. Le lexicographe Hémacandra, auteur dont l’autorité est considérable, dit sèchement : « Les hommes sont partagés en quatre castes[4] ». Le caractère religieux ou sacré

(4) Câlur varnyan dvijokshattravaiçyaçûdrû nrinâm bhidah. (Hémacandra, 807 ; éd. Bœlhlingk.)

  1. Ritter, Erdkunde von Asien, V, p. 460.
  2. Burnes, Travels into Bokhara, I, c. 2, 68, London, 1834. « At Manikgala, we halted next door to a bakery, where the whole bread of the village is cooked. How much more sensible is this custom, than that every family should prepare it separately, as in India, and live in perpetual terror of defilement from on another. »
  3. Ritter, d. c. VI, 228.
  4. 4