Page:Schoebel - Inde française, l’histoire des origines et du développement des castes de l’Inde.djvu/64

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dire le Véda[1]. Nous avons cité le passage védique dont il s’agit et nous le reverrons encore. En attendant, disons que pour le brave Kullûka, orthodoxe s’il en fut, l’argument qu’il tire de la « Révélation » devait être péremptoire ; son zèle l’empêchait de voir que, conclure par un passage du Véda à la vérité d’un article de Manu, c’est décrire le plus joli cercle vicieux qui se puisse imaginer. Ceux qui ont rattaché le système à la révélation primitive avaient leurs raisons pour cela. Le merveilleux est qu’ils aient réussi à asseoir ainsi leur autorité sur une base immuable à ce point que, depuis plus de vingt-cinq siècles, la théorie brâhmanique des castes n’a pas cessé d’être acceptée par les Indiens comme un article de foi, même alors qu’une notable partie de l’Inde avait adopté le buddhisme. Il y a là évidemment l’action d’une cause toute spéciale et nous verrons à l’expliquer par un ordre de faits psychologiques autant qu’historiques. Cependant, nous le devons reconnaître, parmi les trente-cinq ou quarante auteurs que nous avons passés en revue, ceux-là sont tout excusés qui ont fait la place trop grande à la théorie exclusivement religieuse des brahmanes ; ils ont pour eux sinon le sentiment unanime, du moins celui de la majorité du peuple indien. Mais pour savoir ce qu’il en est au fond de ce sentiment souvent déjà obscurci ou même effacé dans les âmes, rien ne sert de s’en tenir à la lettre du Véda, des brâhmanas et des sûtras. Tous ces ouvrages sont, en leur plus grande partie, le fruit du brâhmanisme, ce qui veut dire que ce qu’ils contiennent de faits historiques n’y est que sous une forme qui change l’histoire en légendes et en fables. Découvrir sous ces enveloppes la vérité historique qui, dans l’espèce, est l’origine et le développement réels et effectifs des castes, voilà la tâche qui nous incombe et dont nous allons nous acquitter. La peine n’en est pas toujours très grande. Ainsi, par exemple, la vérité historique sur l’origine et le développement des castes affleure en quelque sorte le sol dans plusieurs endroits du Çântiparva cité ci-dessus, comme aussi dans ce passage de l' Adiparva : « Les hommes : les brâhmanes, les kshatras, etc., sont nés de Manu[2], » ce qui évidemment doit s’entendre des commencements de la société aryenne organisée par un ancêtre ethnologique commun. Et ce distique de Yajnavalkya : Les familles, tribus, corporations, classes et habitants d’une contrée qui dévient de leur devoir, le roi doit les châtier et ramener dans le droit chemin ; je dis ce distique, surtout quand on l’éclaire de certaines traditions du sud de l’Inde, suivant lesquelles les origines des castes seraient dans les rapprochements de gens d’une même condition, ce distique ne nous montre-t-il pas l’ancienne société de l’Inde dans un jour purement civil ou laïque ?

  1. Çrutisiddhatvât, tathâca çrutih — brâhmano ’sya mukham âstd Ity âdih. (Éd. Calcutta, p. 28).
  2. Brahmakshatrâdayas etc. manor jâtâstu mânavâh. (Mahâbhârata, I, 3139 ; I, p. 113.)