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et utiles pour tout faire, mais incapables aux actes religieux et aux études élevées des dvijas ou régénérés.

Cependant, les trois castes supérieures existaient-elles déjà à l’époque védique ? Peut-on démontrer l’existence de la caste dans les hymnes du Rig-Véda ? Les uns l’affirment, les autres le contestent, et, en mettant tous les hymnes sur le même plan, sur le plan où les a institués l’esprit brahmanique, esprit qui a altéré et falsifié tout ce qu’il a touché, les uns peuvent avoir raison autant que les autres. Mais, si par un effort de bonne critique, on se place sur le terrain védique pur, on trouvera que les castes en tant qu’enchaînées à des formes fixes et définitives y sont inconnues, qu’elles n’y sont encore qu’in nuce par le panthéisme articulé qui est caractéristique du génie indien et par le régime féodal. Les hymnes, il est vrai, nous parlent sans cesse du brâhmane et de sa précellence, mais c’est en tant seulement qu’il accomplit les devoirs d’une charge religieuse. Cette charge est d’ailleurs visiblement plus mystique que ne le comporte le pur et simple védisme. En effet, elle consiste dans l’accomplissement d’un acte quelque peu kabbalistique et dont les frais sont faits surtout par la prière, j’allais dire l’incantation appelée brahma. On s’aperçoit sans peine que le brâhmana et le brahma[1] sont des nouveautés dans le Rik, et jamais les hymnes ne permettent de constater au sujet des ritvij ou prêtres, une collectivité personnelle solidaire comme celle de la caste.

Il en est de même du râja. On le trouve placé dans les hymnes tantôt à côté, tantôt après le brâhmane. Il est évidemment présenté ex œquo avec le prélat dans des passages comme celui-ci : « Quand, ô Indra et Agni, vous vous réjouissez chez vous, chez un brahmane ou un râja : yad indrâgni madathah sve durone yad brahmani râjani vâ »[2]. D’une caste de kshatriya, il ne saurait être question dans le Véda, déjà par cela seul (nous l’avons remarqué) que dans l’âge de l’invasion et de la conquête que reflètent la plupart des hymnes, la fonction et le service militaires étaient dévolus à tout le monde. Souvent les chants nous montrent les Aryas réunis sans distinction, rangés en ligne de bataille, soit pour marcher à la conquête soit pour se défendre[3]. Rarement, les viças nous sont présentés dans l’attitude d’hommes qui demandent à être défendus, comme s’ils ne savaient pas se défendre eux-mêmes. « Protège-nous, ô Indra, leur fait dire un hymne, protège-nous dans la guerre et parmi les nôtres[4]. »

  1. C’est-à-dire le prêtre, et la prière dont le brâhmane a pris le nom qu’il porte.
  2. Rig-Véda, I, 108, 7 ; (I, p. 851).
  3. Indiquons seulement au hasard VI, 26, 1 ; III, p. 693 : « Écoute-nous, Indra, nous t’invoquons quand les clans se réunissent là où les héros l’emportent : çrudhi na indra hvayâmati tvâ, etc., san yad viço, yanta cûsâtâ, etc. ; I, 130, 8 ; II, p. 72 : Indra n soutenu dans les batailles l’Arya qui sacrifie : indrah samatsu yajmânamayan, etc. ; I, 179, 3 ; II, p. 354 ; I, 132, 1, 5 ; II, 82, 85 ; I, 39, 5 (I, 325) ; I, 102, 3-6 (I, 812 sq.) ; I, 174, 10 (II, 342) ; III, 37, 9 (II, 863), etc., etc.
  4. Prâsman ava pritanâsu pra vikshu (R.-V., VI, 41, 5 ; III, p. 735.)