Page:Schoebel - Inde française, l’histoire des origines et du développement des castes de l’Inde.djvu/85

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 77 —

sociale des brâhmanes ? Ils auraient courbé leur fierté de seigneurs sous un joug qu’ils n’avaient jamais connu. Caste, si on veut, ils l’avaient toujours été, mais à la manière seulement que le furent les chefs (principes) dans l’ancienne Germanie, où « une haute naissance (motivée par) les grands services des ancêtres conférait la dignité de prince même à des adolescents, tandis que les autres, moins privilégiés, ne rougissaient pas d’être rangés à leur suite, d’être leurs compagnons[1] ». La grande force de la noblesse féodale a été en effet, partout et toujours, le prestige du sang ou de la race[2], mais la primauté sociale que ce prestige donnait aux kshatriyas, comme aux nobles en Allemagne, en France, en Angleterre et ailleurs, a été dans l’Inde détruite, au profit des prêtres, par la politique religieuse brâhmanique.

Pour s’expliquer ce grand événement, il ne faut pas perdre de vue que l’enfantement en a demandé beaucoup de temps. Ce n’est évidemment qu’après que la force féodale des kshatriyas eut été sapée et minée pendant des siècles par l’esprit persévéramment habile des brâhmanes, qu’il a dû enfin crouler et laisser la place libre à un régime purement théocratique ou, pour mieux dire, clérical. Toutefois, ce n’est jamais l’esprit seul ni les théories qu’il élabore qui aient, par eux-mêmes, la force de transformer un état social et politique établi depuis longtemps. L’Évangile, bien qu’il convienne singulièrement à la nature humaine par le grand mélange doctrinal qui le constitue, l’Évangile ne serait jamais devenu un pouvoir politique, l’Église, si un énergique coup de main en ce sens ne lui avait été prêté par les empereurs de Constantinople, depuis Constantin jusqu’à Théodose II[3], et la voix rénovatrice de Luther se serait perdue dans le silence de la mort, comme celle de Wycliffe, elle n’aurait pas du moins réformé la moitié de l’Europe, si elle n’avait été soutenue, protégée et défendue à coups de canon et par des raisons toutes politiques, suivant l’intérêt des princes de la haute et de la basse Saxe. De même, la doctrine toute religieuse, en apparence du moins, des castes brâhmaniques a eu besoin pour se faire accepter par le monde indien, pour entrer efficacement dans la réalité, qu’elle reçût de par ailleurs une puissante impulsion pragmatique, et cette impulsion qui, en l’occurrence, agit par révulsion, fut le buddhisme, le buddhisme devenu religion d’État.

On sait ce qu’est le buddhisme ; je n’ai pas à le décrire. Je constate seulement que par sa doctrine qui proclame, comme plus tard Alexandre, [4] Zénon, le fondateur du stoïcisme, et Jésus, la fraternité uni-

  1. Tacite, Germania. Toute la féodalité indo-germanique est, en principe, dans ce que dit le grand historien aux chapp. XIII, XIV et XV.
  2. De là vient que le mot qui en ancien haut allem. signifie « race », le mot adal, a pris l’acception de « noblesse » adel.
  3. Depuis la constitution du Labarum avec son inscription : ἐν τούτῳ νίκα, en 31 à, jusqu’à la promulgation du Code Théodosien, en 438.
  4. V. Plutarque, De fortuna Alexandri, I, 6 dans Moralia, I, p. 404 ; Didot.