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Page:Schoebel - Le Naturalisme du Rig-Veda et son influence sur la sur la société indienne.djvu/28

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au XVe siècle, la chose se présentait presque déjà sous la face qu’elle a prise depuis : tuer une vache était devenu une très-grosse affaire, et comme, avec la meilleure volonté possible (celle des légistes, on le sait, est souvent extrême), on ne lisait pas cela dans Manou, d’autres législateurs, et l’Inde en compte un grand nombre, pas autant toutefois que nous, se chargèrent de suppléer Manou, et alors les commentateurs se mirent à l’expliquer dans le sens voulu. Ainsi Manou avait dit que celui qui tue une vache commet une faute secondaire ; le commentateur lui fait dire, celui qui tue une vache par mégarde ; le législateur sacré avait dit que celui qui sauve la vie à un brahmane expie le crime d’en avoir tué un autre ; le légiste qui trouve la superstition de la vache dans toute sa floraison, interpole[1] le mot vache, de sorte que Manou est censé dire : celui qui a sauvé une vache ou un brahmane expie, etc. Aujourd’hui enfin, ainsi que nous l’avons déjà dit, le meurtre d’une vache est devenu un crime irrémissible et inexpiable, et une des causes les plus puissantes de l’aversion des Hindous pour les Anglais.

  1. Les interpolations sont le fléau de la littérature hindoue ; il n’est pas un seul livre qui en soit exempt. J’ai déjà dit que M. Langlois en signale dans le Rig-Véda (i, 673 ; iii, 237, 243 ; iv, 499, 509). Grâce à ce procédé et au manque absolu de chronologie, un grand nombre d’ouvrages paraissent occuper le même plan, quoiqu’en réalité il y ait souvent entre eux plusieurs siècles. Chaque école brahmanique, voire chaque copiste, ajoutait un peu du crû de son pays, et comme ces ouvrages, écrits sur une matière excessivement fragile (feuilles de palmier) ou sur un papier fortement chargé de colle, étaient, pour ces raisons, très-exposés aux ravages des vers ou des insectes, et, par conséquent, susceptibles d’être copiés fort souvent, on peut juger de l’état d’infidélité dans lequel nous sont parvenus plusieurs œuvres littéraires, soit des premiers siècles, soit des âges suivants. Ainsi, pour n’en citer qu’un seul exemple, le code de Manou est loin d’être d’une seule pièce ; le premier livre n’y appartient en aucune manière. — Et qu’on ne dise pas que l’état de la langue est un critérium qui puisse toujours guider le philologue dans les perplexités sans nombre d’une recension. On sait l’usage habile qu’on a fait des centons. Il y a dans le Rig-Véda des hymnes composés de cette manière (voy. Langlois, iii, 482). Et ne nous a-t-on pas engendré un Ossian de la plus pure race celtique ? Manque-t-il des érudits qui imiteraient Villehardouin et Joinville au point de tromper les plus clairvoyants ? Et que possédons-nous d’Homère ? Où est le savant qui oserait dire : c’est ici qu’il parle lui-même, et c’est là que parlent les rapsodes, les critiques ou les copistes ? Questions éternellement insolubles dans leur ensemble, et bien propres à ne point nous faire prendre pour de l’ironie, comme au temps de