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FRUITS DEFENDUS




LA FLÈCHE D’OR




Qui ne se rappelle la Messe de l’Athée, cette page qui a l’air d’un béquet dans l’œuvre de Balzac ? Le docteur Bianchon surprend son ancien maître Desplein assistant en cachette à la messe. Or, Desplein était un apôtre du matérialisme le plus absolu. « Pour lui, dit Balzac, l’atmosphère terrestre était un sac générateur ; il voyait la terre comme un œuf dans sa coque. Il ne croyait ni en l’animal antérieur, ni en l’esprit postérieur à l’homme. Desplein n’était pas dans le doute : il affirmait. Cette opinion ne devait pas être autrement chez un homme habitué depuis son jeune âge à disséquer l’être par excellence, avant, pendant et après la vie, à le fouiller dans tous ses appareils sans y trouver l’âme unique, si nécessaire aux théories religieuses.

— Me direz-vous, mon cher, dit Bianchon à Desplein, la raison de votre capucinade ?

Et Desplein raconte à son élève l’histoire de sa jeunesse. Pauvre jusqu’au dénûment, sans famille, sans ressources, sans espoir, il s’est rencontré avec un Auvergnat, un porteur d’eau nommé Bourgeat. L’homme du peuple, simple, naïf, sans instruction, comprend que l’autre avait une mission. Il sacrifie ses économies pour lui fournir l’argent nécessaire à ses examens ; il lui prête de l’argent pour acheter des livres ; il le nourrit, le sert, devient à la fois pour lui un père et un domestique. Il meurt enfin sans avoir eu la joie de contempler son ouvrage achevé ; il meurt avant que Desplein fût devenu l’illustre chirurgien, le savant admiré de sa génération.

Or, cet Auvergnat avait la foi du charbonnier ; il aimait la sainte Vierge, le petit Jésus, les saints. Il était convaincu qu’il y avait quelque part, dans le ciel, un palais des Tuileries où vivait la famille divine avec les anges pour cent-gardes et saint Pierre pour concierge.

Bourgeat avait timidement parlé de messes pour le repos des morts. Et, comme la seule chose que Desplein pût lui