Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/151

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à parti, c’est de citer en traduction allemande, dans les livres scientifiques et dans les publications savantes, émanant même des Académies, des passages d’auteurs grecs, et même (proh pudor !) d’auteurs latins. Fi ! Écrivez-vous pour des cordonniers et des tailleurs ? Je le crois : en vue d’obtenir un très fort « débit ». Alors permettez-moi de remarquer très respectueusement que vous êtes à tous les points de vue de vulgaires drôles. Ayez plus d’honneur dans les entrailles et moins d’argent dans la poche, et laissez sentir à l’ignorant son infériorité, au lieu de faire des courbettes devant son escarcelle. Les traductions allemandes remplacent les auteurs grecs et latins juste comme la chicorée remplace le café, et, de plus, on ne doit nullement se fier à leur exactitude.

Si l’on en arrive là, adieu, alors, humanisme, goût noble et sens élevé ! La barbarie revient, en dépit des chemins de fer, des fils électriques et des aérostats. Enfin, nous perdons encore par là un avantage dont tous nos ancêtres ont joui. Le latin, en effet, ne nous ouvre pas seulement l’antiquité romaine ; il nous ouvre non moins directement tout le moyen âge des pays européens, et les temps modernes jusque vers 1750. C’est ainsi que, par exemple, Scot Erigène au ixe siècle, Jean de Salisbury au xiie, Raimond Lulle au xiiie, et cent autres, me parlent directement dans la langue qui, dès qu’ils pensaient à des sujets scientifiques, leur était naturelle et propre. Ils s’approchent aujourd’hui encore tout près de moi ; je suis en contact immédiat avec eux et j’apprends à les connaître véritablement. Qu’adviendrait-il si chacun d’eux avait écrit dans la langue de son pays, telle qu’elle existait de son temps ?