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Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/45

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Celui-là seul qui prend directement dans sa propre tête la matière sur laquelle il écrit, mérite d’être lu. Mais faiseurs de livres, compilateurs, historiens ordinaires, etc., prennent la matière indirectement dans les livres ; elle passe de ceux-ci à leurs doigts, sans avoir subi dans leur tête même un droit de transit et une visite, à plus forte raison une élaboration. (Quelle ne serait pas la science de beaucoup d’hommes, s’ils savaient tout ce qui est dans leurs propres livres !) De là, leur verbiage a souvent un sens si indéterminé, que l’on se casse en vain la tête pour parvenir à deviner ce qu’en définitive ils pensent. Ils ne pensent pas du tout. Le livre d’où ils tirent leur copie est parfois composé de la même façon. Il en est donc de pareils écrits comme de reproductions en plâtre de reproductions de reproductions, etc., qui a la fin laissent à peine reconnaître les traits du visage d’Antinoüs. Aussi devrait-on lire le moins possible les compilateurs. Les éviter complètement est en effet difficile, puisque même les abrégés, qui renferment en un petit espace le savoir accumulé dans le cours de nombreux siècles, rentrent dans les compilations.

Il n’y a pas de plus grande erreur que de croire que le dernier mot proféré est toujours le plus juste, que chaque écrit postérieur est une amélioration de l’écrit antérieur, et que chaque changement est un progrès. Les têtes pensantes, les hommes de jugement correct et les gens qui prennent les choses au sérieux, ne sont jamais que des exceptions. La règle, dans le monde entier, c’est la vermine ; et celle-ci est toujours prête à améliorer en mal, à sa façon, ce que ceux-là ont dit après de mûres réflexions. Aussi, celui qui veut se ren-