Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/64

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jusqu’à la prochaine étape : « Marche ! », afin de se rendre compte du chemin qu’il ferait dans un temps donné[1], ainsi il me suffit de lire quelques pages d’un auteur, pour savoir à peu près jusqu’où il peut me mener.

Dans la secrète conscience de cet état de choses, chaque médiocrité cherche à masquer le style qui lui est propre et naturel. Cela l’oblige avant tout à renoncer à toute naïveté ; celle-ci reste le privilège des esprits supérieurs et conscients d’eux-mêmes, qui, par conséquent, s’avancent d’un pas sûr. Quant aux hommes ordinaires, ils ne peuvent absolument se résoudre à écrire comme ils pensent, car ils sentent qu’alors la chose pourrait prendre un air bien simplet. Elle aurait pourtant toujours sa valeur. Si ces gens-là se contentaient de se mettre honnêtement à l’œuvre et de communiquer les quelques idées ordinaires qu’ils ont réellement eues, et telles qu’ils les ont eues, ils seraient lisibles et même instructifs dans leur sphère propre. Mais, au lieu de cela, ils s’efforcent de faire croire qu’ils ont beaucoup plus pensé, et plus profondément, que ce n’est le cas. Ils rendent conséquemment ce qu’ils ont à dire en tournures forcées et pénibles, à l’aide de mots nouveaux et en périodes prolixes qui enveloppent l’idée et la dissimulent. Ils balancent entre la double tentative de la communiquer et de la cacher. Ils voudraient l’embellir de façon à lui donner un air savant ou profond, pour

  1. Cette anecdote ne se trouve dans aucune des quatre-vingt-seize histoires dont se compose l’édition de 1519, qui passe pour l’édition originale des aventures de l’illustre Tyl, bien plus polisson encore qu’ « espiègle ». (Le trad.)