Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/66

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de nouvelles voies, de vendre des mots pour des idées, et, au moyen d’expressions nouvelles ou employées dans un sens nouveau, de tournures et de combinaisons de toute espèce, de produire l’apparence de l’esprit, pour compenser le manque si douloureusement senti de celui-ci. Il est amusant de voir comment, pour atteindre ce but, on essaie tantôt une manière, tantôt une autre ; on s’en sert comme d’un masque destiné à représenter l’esprit. Ce masque peut décevoir un moment les gens inexpérimentés. Mais, reconnu en définitive comme un masque privé de vie, on se moque de lui, et on l’échange contre un autre.

Ces écrivains sont tantôt dithyrambiques, comme s’ils étaient ivres, et tantôt ils déploient, dès la page suivante, un savoir pompeux, sérieux, approfondi, qui va jusqu’à la plus lourde et la plus minutieuse prolixité, et rappelle la manière de feu Christian Wolf[1] mais habillée à la moderne. C’est le masque de l’incompréhensibilité qui tient bon le plus longtemps, mais seulement en Allemagne, où, introduit par Fichte, perfectionné par Schelling, il a atteint enfin en Hegel son point culminant ; et toujours avec le plus heureux succès. Et cependant rien n’est plus facile que d’écrire de façon à n’être compris de personne ; comme rien n’est plus difficile, au contraire, que d’exprimer des idées importantes qui soient comprises de chacun. Tous les artifices susmentionnés sont d’ailleurs rendus inutiles, quand on possède réellement de l’esprit. Celui-ci per-

  1. Le principal disciple de Leibnitz. Né à Breslau en 1679, mort à Halle en 1754. (Le trad.)