Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/97

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qui rend haïssables aux étrangers toutes les productions littéraires allemandes. Ceux-ci n’aiment pas à tâtonner dans l’obscurité, goût qui, au contraire, paraît inné chez nos compatriotes.

Par ces longues périodes, enrichies de propositions incidentes emboîtées les unes dans les autres et bourrées comme on bourre de pommes les oies rôties, c’est avant tout à la mémoire qu’on fait appel ; mais on devrait, au contraire, s’adresser à l’intelligence et au jugement, dont l’activité est ainsi alourdie et affaiblie. Celui qui écrit une de ces si longues périodes emboîtées sait où il tend et où il aboutira ; aussi est-il aux anges, quand il a terminé l’arrangement de son labyrinthe. Mais le lecteur, lui, est dans l’ignorance et souffre le martyre, car il doit apprendre par cœur toutes les clauses, jusqu’à ce qu’aux derniers mots une lumière se fasse et qu’il puisse enfin savoir lui-même ce dont il s’agit. Cela est manifestement fâcheux, et c’est abuser de la patience du lecteur. La prédilection incontestable des cerveaux ordinaires pour cette manière d’écrire consiste à ne laisser deviner qu’au bout de quelque temps et avec quelque effort au lecteur ce qu’au surplus il aurait aussitôt compris ; mais cela semble faire croire que l’écrivain a plus de profondeur et d’intelligence que celui qui le lit. Ceci aussi rentre donc dans les habiletés signalées plus haut, grâce auxquelles les médiocres s’efforcent inconsciemment et instinctivement de dissimuler leur pauvreté d’esprit, et de faire croire au don opposé. Leur génie inventif en ceci est même étonnant.

Mais il est manifestement contre toutes les règles de la saine raison, de faire s’entre-croiser une pensée par