Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/123

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peu grave que soit ce détriment, est aussi méchant que Bonaparte.

Ceux qui se bercent de l’illusion qu’il y a une récompense après la mort, voudraient que Napoléon expiât par des tortures indicibles les maux innombrables qu’il a causés. Mais il n’est pas plus coupable que tous ceux qui, ayant la même volonté, n’ont pas la même force. Par le fait qu’il possédait cette force rare, il a révélé toute la méchanceté de la volonté humaine’; et les souffrances de son époque, comme le revers de la médaille, révèlent la misère inséparable de la volonté mauvaise, dont l’apparition, dans son ensemble, est le monde lui-même.Mais la fin et le but du monde, c’est précisément qu’on reconnaisse par quelle misère innommable la volonté est liée à la vie, et ne fait en réalité qu’une avec elle. L’apparition de Bonaparte contribue donc beaucoup à cette fin. Que le monde soit un fade pays de Cocagne, ce n’est pas le but de cette apparition ; son but, au contraire, c’est qu’il soit un drame où la volonté de vivre se reconnaisse et s’écarte. Bonaparte est simplement un puissant miroir de la volonté humaine de vivre.

La différence entre celui qui cause la souffrance, et celui qui la subit, est seulement dans le phénomène. Tout cela est une seule volonté de vivre, identique à de grandes souffrances ; et la connaissance de celles-ci peut détourner et faire cesser cette volonté.

Le principal avantage qu’avait l’ancien temps sur le nouveau, c’est peut-être que, jadis, « les paroles allaient aux choses », pour employer l’expression de Bonaparte, tandis que, maintenant, il n’en est pas ainsi. Je veux