Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/136

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Je ne puis m’empêcher de rire, quand je vois ces hommes réclamer sur un ton assuré et hardi la continuation, à travers l’éternité, de leur misérable individualité. Que sont-ils autre chose, en effet, que les pierres à face humaine emmaillotées qu’on voit avec bonheur Kronos dévorer, tandis que seul le vrai et immortel Zeus, à l’abri des atteintes de celui-ci, grandit pour régner éternellement ?

L’unique témoin des mouvements et des pensées les plus secrets de l’homme, c’est la conscience. Mais cette conscience, il doit un jour la perdre, et il le sait ; et c’est peut-être ce qui le pousse avant tout à croire qu’il y a encore un autre témoin de ses mouvements et de ses pensées les plus secrets.

L’homme est une médaille où est gravé d’un côté : « Moins que rien », et, de l’autre : « Tout en tout ».

De même, tout est matière, et en même temps tout est esprit. (Volonté et représentation.)

De même, ai-je toujours été et serai-je toujours ; et en même temps je suis éphémère comme la fleur des champs.

De même, la seule chose vraiment persistante est la matière ; et, en même temps, seulement la forme. La scolastique forma dat esse rei doit être modifiée ainsi : (rei) dat forma essentiam, materia existentiam.

De même, il n’existe en réalité que les idées ; et, en même temps, seulement les individus. (Réalisme, nominalisme.)

De même, le dieu de la mort, Yama, a deux visages : l’un féroce, l’autre infiniment aimable.