Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/142

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vrira que la compréhension nette ou claire de maintes choses et de maints rapports passablement simples ne lui est venue que dans un âge très mûr, et parfois soudainement. C’est qu’il y avait jusque-là, dans sa connaissance du monde, un point obscur produit par une lacune de l’objet au temps de sa première éducation, que celle-ci ait été artificielle, donnée par les hommes, ou simplement naturelle, basée sur l’expérience individuelle.

On devrait donc chercher à établir logiquement la série naturelle des connaissances, pour initier ensuite méthodiquement, d’après elle, les enfants aux choses et aux rapports du monde, sans laisser entrer dans leurs têtes des sornettes dont souvent ils ne parviennent pas à se débarrasser. Il faudrait avant tout veiller à ce que les enfants n’emploient pas de mots auxquels ils n’associent aucune notion claire[1]. Mais le point capital serait toujours que les perceptions précédassent les notions, au lieu de l’inverse, comme c’est le cas aussi habituel que regrettable, analogue à celui de l’enfant qui vient au monde les jambes les premières, ou du vers qui étale d’abord sa rime. Alors que l’esprit de l’enfant est tout à fait dépourvu de perceptions, on lui inculque déjà des notions et des jugements, de véritables préjugés ; cet appareil tout préparé devient ensuite la source de ses perceptions et de ses expériences, tandis qu’il devrait déduire celles-là de celles-ci.

  1. La plupart des enfants ont déjà la malheureuse tendance de se contenter des mots et de les apprendre par cœur, afin de se tirer d’affaire par leur aide, le cas échéant, au lieu de chercher à comprendre les choses. Cette tendance subsiste par la suite et fait que le savoir de beaucoup de gens instruits n’est qu’un simple verbiage.