Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/174

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tout mouvement de la volonté qui devient assez fort pour faire prédominer incontestablement la connaissance dans la conscience, et faire apparaître l’homme plus comme un être voulant que comme un être connaissant. Livré à un tel affect, le plus grand génie devient semblable au fils le plus vulgaire de la terre. Celui, au contraire, qui veut être « non commun », c’est-à-dire grand, ne doit jamais laisser les mouvements de la volonté s’emparer complètement de sa conscience, quelque sollicitation qu’il éprouve à ce sujet. Il lui faut, par exemple, pouvoir entendre les autres émettre leurs opinions détestables, sans qu’il sente les siennes atteintes par ce fait. Oui, il n’y a pas de marque plus assurée de grandeur que de laisser émettre, sans y attacher d’importance, des propos blessants ou offensants, qu’on impute tout bonnement, comme quantité d’autres erreurs, à la débile connaissance du discoureur, et que l’on se contente de percevoir, sans qu’ils vous touchent. C’est en ce sens qu’il faut entendre ce mot de Gracian : « El mayor desdoro de un hombre es dar muestras de que es hombre[1] ».

Conformément à ce qui vient d’être dit, on doit cacher sa volonté, comme ses parties génitales, quoique l’une et les autres soient la racine de notre être. On ne doit laisser voir que la connaissance, comme son visage, sous peine de devenir commun.

Même dans le drame, qui a proprement pour thème les passions et les affects, tous deux produisent facilement une impression commune. C’est ce que l’on

  1. « La plus grande honte pour un homme est de donner des preuves qu’il est un homme ». (Voir, sur Gracian, Écrivains et style, note de la page 153).