Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/20

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suis revenu moins homme), se plaisait-il à dire avec l’auteur de l’Imitation, qui lui-même l’avait dit après Sénèque. Aussi, même avec ceux qu’il qualifiait d’amis, lui arrivait-il de briser brusquement l’entretien sur un ton peu aimable, pour leur faire comprendre qu’il avait hâte de regagner sa tour d’ivoire, de renouer au plus tôt la chaîne un moment interrompue de son recueillement intellectuel. Les seuls êtres qui ne l’ennuyaient pas, qui lui procuraient même une joie toujours renouvelée, c’étaient les animaux. Il nous fait sa confession à cet égard dans ses Observations psychologiques : « Quelle jouissance particulière n’éprouvons-nous pas, dit-il, à voir n’importe quel animal vaquer librement à sa besogne, s’enquêter de sa nourriture, soigner ses petits, s’associer à des compagnons de son espèce, etc., en restant absolument ce qu’il est et peut être ! Ne fût-ce qu’un petit oiseau, je puis le suivre de l’œil longtemps avec plaisir. Il en est de même d’un rat d’eau, d’une grenouille, et, mieux encore, d’un hérisson, d’une belette, d’un chevreuil ou d’un cerf. Si la vue des animaux nous charme tant, c’est surtout parce que nous goûtons une satisfaction à voir devant nous notre propre être si simplifié ». Gwinner raconte que Schopenhauer ayant vu, pour la première fois, en 1854, à la foire de Francfort, un jeune orang-outang, allait lui rendre visite presque chaque jour, étudiant avec la plus grande attention et la plus vive sympathie cet « ancêtre présumé de notre race », dans les traits mélancoliques duquel il lisait le désir qu’avait la volonté de parvenir à la connaissance. Nous avons parlé, dans les volumes précédents, de son amour pour son chien. Il revenait souvent sur le compte de cet animal en général, s’étonnant quelque peu que le chien, cette bête fauve apprivoisée, le parent et peut-être le descendant du chacal ou du loup, ait pu devenir le fidèle, affectueux et obéissant compagnon de l’homme que l’on sait.

Le meilleur jugement sur le fond même de l’œuvre de Schopenhauer nous semble émaner de Schopenhauer lui-même : « Mes ouvrages, dit-il, se composent de simples articles inspirés par l’idée dont j’étais plein à ce moment, et