Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

homme qui ne veut plus vivre pour lui-même, qu’il continue à vivre comme une simple machine pour l’utilité d’autres hommes, c’est là une exigence extravagante.

Quoique les forces des hommes soient inégales, leurs droits sont égaux. Ces droits en effet ne reposent pas sur les forces, parce que le droit est de nature morale ; ils reposent sur le fait que la même volonté de vivre s’affirme dans chaque homme au même degré d’objectivation. Ceci ne s’applique toutefois qu’au droit primordial et abstrait que l’homme possède en tant qu’homme. La propriété, de même que l’honneur, que chacun acquiert au moyen de ses forces, dépend de la mesure et de la nature de ces forces, et offre alors à son droit une sphère plus large ; ici, par conséquent, cesse l’égalité. L’homme mieux équipé, ou plus actif, agrandit par son industrie non son droit, mais le nombre des choses auxquelles celui-ci s’étend.

Dans les Suppléments au Monde comme volonté et comme représentation (chap. xlvii), j’ai prouvé que l’État, dans son essence, n’est qu’une institution existant en vue de la protection de ses membres contre les attaques extérieures ou les dissensions intérieures. Il s’ensuit de là que la nécessité de l’État repose, en réalité, sur la constatation de l’injustice de la race humaine. Sans elle, on ne penserait nullement à l’État ; car personne ne craindrait une atteinte à ses droits. Une simple union contre les attaques des bêtes féroces ou des éléments n’aurait qu’une faible analogie avec ce que nous entendons par État. De ce point de vue, il est aisé de