Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/106

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qu’on le peut, de concéder quelque chose. Considérons encore que tout homme, dans son pays, peut épouser la femme de son choix ; il en est un seul à qui ce droit naturel est ravi ; ce pauvre homme, c’est le souverain. Sa main appartient au pays ; on ne l’accorde qu’en vue de la raison d’État, c’est-à-dire de l’intérêt de la nation. Et cependant ce prince est homme ; il aimerait aussi à suivre une fois le penchant de son cœur. Il est injuste et ingrat autant que bourgeoisement vulgaire de défendre ou de reprocher au souverain de vivre avec sa maîtresse, bien entendu aussi longtemps qu’il ne lui accorde aucune influence sur les affaires. De son côté aussi, cette maîtresse, par rapport à l’honneur sexuel, est pour ainsi dire une femme exceptionnelle, en dehors de la règle commune ; elle ne s’est donnée qu’à un seul homme ; elle l’aime, elle en est aimée, et il ne pourra jamais la prendre pour femme. Ce qui prouve surtout que le principe de l’honneur féminin n’a pas une origine purement naturelle, ce sont les nombreux et sanglants sacrifices qu’on lui apporte par l’infanticide et par le suicide des mères. Une fille qui se donne illégitimement viole, il est vrai, sa foi envers son sexe entier ; mais cette foi n’a été qu’acceptée tacitement, elle n’a pas été jurée. Et comme, dans la plupart des cas, c’est son propre intérêt qui en souffre le plus directement, sa folie est alors infiniment plus grande que sa dépravation.

L’honneur sexuel des hommes est provoqué par celui des femmes, à titre d’esprit de corps opposé ; tout homme qui se soumet au mariage, c’est-à-dire à cette capitulation