Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/127

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point de départ même est faux ; dans les choses de minime importance (les affaires graves restant toujours déférées à la décision des tribunaux), de deux hommes intrépides il y en a toujours un qui cède, savoir le plus sage : quand il ne s’agit que d’opinions, on ne s’en occupera même pas. Nous en trouvons la preuve dans le peuple, ou, pour mieux dire, dans toutes les nombreuses classes sociales qui n’admettent pas le principe de l’honneur chevaleresque ; ici, les différends suivent leur cours naturel, et cependant l’homicide y est cent fois moins fréquent que dans la fraction minime, 1/1000 à peine, qui s’y soumet : les rixes mêmes sont rares. On prétend, en outre, que ce principe, avec ses duels, est un pilier qui maintient le bon ton et les belles manières dans la société ; qu’il est un rempart qui met à l’abri des éclats de la brutalité et de la grossièreté. Cependant, à Athènes, à Corinthe, à Rome, il y avait de la bonne et même de la très bonne société, des manières élégantes et du bon ton, sans qu’il eût été nécessaire d’y implanter l’honneur chevaleresque en guise de croquemitaine. Il est vrai de dire aussi que les femmes ne régnaient pas dans la société antique comme chez nous. Outre le caractère frivole et puéril que prend ainsi l’entretien, puisqu’on en bannit tout sujet de conversation nourrie et sérieuse, la présence des femmes dans notre société contribue certainement pour une grande part encore à accorder au courage personnel le pas sur toute autre qualité, tandis qu’en réalité il n’est qu’un mérite ; très subordonné, une simple vertu de sous-lieutenant, dans laquelle les animaux mêmes nous sont supérieurs ;