Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/143

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la gloire, à l’inverse, précède dans son vol la connaissance de l’individu et la porte à sa suite aussi loin qu’elle parviendra elle-même. Chacun peut prétendre à l’honneur ; à la gloire, les exceptions seules, car elle ne s’acquiert que par des productions exceptionnelles. Ces productions peuvent être des actes ou des œuvres : de là deux routes pour aller à la gloire. Une grande âme par-dessus tout nous ouvre la voie des actes ; un grand esprit nous rend capable de suivre celle des œuvres. Chacune des deux a ses avantages et ses inconvénients propres. La différence capitale, c’est que les actions passent, les œuvres demeurent. L’action la plus noble n’a toujours qu’une influence temporaire ; l’œuvre de génie par contre subsiste et agit, bienfaisante et élevant l’âme, à travers tous les âges. Des actions, il ne reste que le souvenir qui devient toujours de plus en plus faible, défiguré et indifférent ; il est même destiné à s’effacer graduellement en entier, si l’histoire ne le recueille pour le transmettre, pétrifié, à la postérité. Les œuvres, en revanche, sont immortelles par elles-mêmes, et les ouvrages écrits surtout peuvent vivre à travers tous les temps. Le nom et le souvenir d’Alexandre le Grand sont seuls vivants aujourd’hui ; mais Platon et Aristote, Homère et Horace sont eux-mêmes présents ; ils vivent et agissent directement. Les Védas, avec leurs Upanischades, sont là devant nous ; mais, de toutes les actions accomplies de leur temps, pas la moindre notion n’est parvenue jusqu’à nous[1]. Un autre désavantage des

  1. Aussi est-ce faire un mauvais compliment lorsque, ainsi qu’il est de mode aujourd’hui, croyant faire honneur à des œuvres, on les