Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/147

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apprécie, ce sont plutôt ces œuvres qui traitent des choses fugitives du jour ou qui servent le caprice du moment ; celles-là lui appartiennent en entier, elles vivent et meurent avec elle. Aussi l’histoire de l’art et de la littérature nous apprend généralement que les plus hautes productions de l’esprit humain ont, de règle, été accueillies avec défaveur et sont restées dédaignées jusqu’au jour où des esprits élevés, attirés par elles, ont reconnu leur valeur et leur ont assigné une considération qu’elles ont conservée dès lors. En dernière analyse, tout cela repose sur ce que chacun ne peut réellement comprendre et apprécier que ce qui lui est homogène. Or l’homogène pour l’homme borné, c’est ce qui est borné ; pour le trivial, c’est le trivial ; pour l’esprit diffus, c’est le diffus, et pour l’insensé l’absurde ; ce que chacun préfère, ce sont ses propres œuvres, comme étant entièrement de la même nature.

Déjà le vieil Epicharme, le poète fabuleux, chantait ainsi :

Θαυματον ουδεν εστι, με ταυθʹ ουτω λεγειν
Και ανδανειν αυτοισιν αυτους, και δοκειν
Καλως πεφυχεναι, χαι γαρ ο κυων κυνι,
Καλλιστον ειμεν φαινεται, και βους βοί
Ονος δε ονω χαλλιστον, υς δε δί.


Ce qu’il faut traduire, afin que cela ne soit perdu pour personne[1] :

  1. Pour comprendre le sens de ces mots de Schopenhauer, le lecteur français a besoin de savoir que le philosophe pessimiste, dans son profond dédain des ignorants, ne traduit jamais les citations latines, et ne traduit les grecques qu’en latin ; c’est donc une exception qu’il fait ici pour le « fabuleux » Epicharme.—(Trad.)