Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/155

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dit au commencement de ce chapitre, le prix attaché à l’opinion est tout à fait disproportionné et déraisonnable, à ce point que Hobbes a pu dire, en termes très énergiques, mais très justement : « Toute jouissance de l’âme, toute satisfaction vient de là que, se comparant aux autres, on puisse avoir une haute opinion de soi-même. » (De cive, I, 5.) Ainsi s’explique le grand prix que l’on attache à la gloire, et les sacrifices que l’on fait dans le seul espoir d’y arriver un jour :

Fame is the spur, that the clear spirit doth raise
(That lust infirmity of noble minds)
To scorn delights and live laborious days.

(La renommée est l’éperon qui pousse les esprits éminents [dernière faiblesse des nobles âmes] à dédaigner les plaisirs et à consacrer leur vie au travail.)

Et ailleurs il dit :

___________how hard it is to climb
The hights were Fame’s proud temple shines, afar

(Qu’il est dur de grimper aux sommets où brille au loin le temple de la Renommée.)

C’est pourquoi aussi la plus vaniteuse de toutes les nations a toujours à la bouche le mot « gloire » et considère celle-ci comme le mobile principal des grandes actions et des grandes œuvres. Seulement, comme la gloire n’est incontestablement que le simple écho, l’image, l’ombre, le symptôme du mérite, et comme en tout cas

    résulte que celui-là est le plus heureux qui, n’importe comment, est arrivé à s’admirer sincèrement soi-même. Seulement il ne doit pas se laisser égarer par les autres. — (Note de l’auteur.)