Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/201

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produit alors les phénomènes les plus repoussants qui rendent répugnant, et même insupportable, le commerce de la grande majorité des hommes. Et voilà comment, bien qu’il y ait tant de mauvaises choses en ce monde, la société en est encore la pire : Voltaire lui-même, Français sociable, a été amené à dire : « La terre est couverte de gens qui ne méritent pas qu’on leur parle. » Le tendre Pétrarque, qui a si vivement et avec tant de constance aimé la solitude, en donne le même motif :

Cercato ho sempre solitaria vita
(Le rive il sanno, e le campagne, e i boschi),
Per fuggir quest’ingegni storti e loschi
Che la strada del ciel’ hanno smarita.

(J’ai toujours recherché une vie solitaire [les rivages, et les campagnes, et les bois le savent], pour fuir ces esprits difformes et myopes, qui ont perdu la route du ciel).

Il donne les mêmes motifs dans son beau livre De vita solitaria, qui semble avoir servi de modèle à Zimmermann pour son célèbre ouvrage intitulé De la solitude. Chamfort, avec sa manière sarcastique, exprime précisément cette origine secondaire et indirecte de l’insociabilité, quand il dit : « On dit quelquefois d’un homme qui vit seul : Il n’aime pas la société. C’est souvent comme si l’on disait d’un homme qu’il n’aime pas la promenade, sous le prétexte qu’il ne se promène pas volontiers le soir dans la forêt de Bondy. » Saadi, dans le Gulistan, s’exprime dans le même sens : « Depuis ce moment, prenant congé du monde, nous avons suivi le chemin de l’isolement ; car la sécurité est dans la soli-