Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/21

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l’homme ne se passe et n’existe immédiatement que dans sa conscience ; c’est évidemment la qualité de la conscience qui sera le prochainement essentiel, et dans la plupart des cas tout dépendra de celle-là bien plus que des images qui s’y représentent. Toute splendeur, toutes jouissances sont pauvres, réfléchies dans la conscience terne d’un benêt, en regard de la conscience d’un Cervantès, lorsque, dans une prison incommode, il écrivait son Don Quijote.

La moitié objective de l’actualité et de la réalité est entre les mains du sort et, par suite, changeante ; la moitié subjective, c’est nous-mêmes, elle est par conséquent immuable dans sa partie essentielle. Aussi, malgré tous les changements extérieurs, la vie de chaque homme porte-t-elle d’un bout à l’autre le même caractère ; on peut la comparer à une suite de variations sur un même thème. Personne ne peut sortir de son individualité. Il en est de l’homme comme de l’animal ; celui-ci, quelles que soient les conditions dans lesquelles on le place, demeure confiné dans le cercle étroit que la nature a irrévocablement tracé autour de son être, ce qui explique pourquoi, par exemple, tous nos efforts pour faire le bonheur d’un animal que nous aimons doivent se maintenir forcément dans des limites très restreintes, précisément à cause de ces bornes de son être et de sa conscience ; pareillement, l’individualité de l’homme a fixé par avance la mesure de son bonheur possible. Ce sont spécialement les limites de ses forces intellectuelles qui ont déterminé une fois pour toutes son aptitude aux jouissances élevées. Si elles sont étroites,