Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/234

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d’hommes intelligents et spirituels, sauf deux imbéciles qui en feraient partie aussi ; ces deux se sentiront sympathiquement attirés l’un vers l’autre, et bientôt chacun des deux se réjouira dans son cœur d’avoir enfin rencontré au moins un homme raisonnable. Il est vraiment remarquable de voir de ses yeux comment deux êtres, principalement parmi ceux qui sont arriérés au moral et à l’intellectuel, se reconnaissent à première vue, tendent ardemment à se rapprocher, se saluent avec amour et joie, et courent l’un au-devant de l’autre comme d’anciennes connaissances ; cela est si frappant que l’on est tenté d’admettre, selon la doctrine bouddhique de la métempsycose, qu’ils étaient déjà liés d’amitié dans une vie antérieure.

Cependant il est un fait qui, même dans le cas de grande harmonie, maintient les hommes éloignés les uns des autres et qui va jusqu’à faire naître entre eux une dissonnance passagère : c’est la différence de la disposition du moment qui est presque toujours autre chez chacun, selon sa situation momentanée, l’occupation, le milieu, l’état de son corps, le courant actuel de ses pensées, etc. C’est là ce qui produit des dissonnances parmi les individualités qui s’accordent le mieux. Travailler sans relâche à corriger ce qui fait naître ces troubles et à établir l’égalité de la température ambiante, serait l’effet d’une suprême culture intellectuelle. On aura la mesure de ce que peut produire pour la société l’égalité de sentiments, par ce fait que les membres d’une réunion, même très nombreuse, seront portés à se communiquer réciproquement leurs