Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/24

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qu’un dérangement et un fardeau. Horace dit en parlant de lui-même :

Gemmas, marmor, ebur, Tyrrhena sigilla, tabellas,
Argentum, vestes Gaetulo murice tinctas,
Sunt qui habeant, est qui non curat habere.

(Il en est qui n’ont ni pierres précieuses, ni marbre, ni ivoire, ni statuettes tyrrhéniennes, ni tableaux, ni argent, ni robes teintes de pourpre gaétulienne ; il en est un qui ne se soucie pas d’en avoir. — Horace, Ep. II, L. II, vers 180 et suiv.)

Et Socrate, à la vue d’objets de luxe exposés pour la vente, s’écriait : « Combien il y a de choses dont je n’ai pas besoin ! »

Ainsi, la condition première et la plus essentielle pour le bonheur de la vie, c’est ce que nous sommes, c’est notre personnalité ; quand ce ne serait déjà que parce qu’elle agit constamment et en toutes circonstances, cela suffirait à l’expliquer, mais en outre, elle n’est pas soumise à la chance comme les biens des deux autres catégories, et ne peut pas nous être ravie. En ce sens, sa valeur peut passer pour absolue, par opposition à la valeur seulement relative des deux autres. Il en résulte que l’homme est bien moins susceptible d’être modifié par le monde extérieur qu’on ne le suppose volontiers. Seul le temps, dans son pouvoir souverain, exerce également ici son droit ; les qualités physiques et intellectuelles succombent insensiblement sous ses atteintes ; le caractère moral seul lui demeure inaccessible.

Sous ce rapport, les biens des deux dernières catégories auraient un avantage sur ceux de la première, comme