Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/257

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au jour de l’esprit et du jugement, n’est-ce pas une manière détournée de reprocher aux autres leur incapacité et leur bêtise ? Une nature vulgaire se révolte à l’aspect d’une nature opposée ; le fauteur secret de la révolte, c’est l’envie. Car satisfaire sa vanité est, ainsi qu’on peut le voir à tout moment, une jouissance qui, chez les hommes, passe avant toute autre, mais qui n’est possible qu’en vertu d’une comparaison entre eux-mêmes et les autres. Mais il n’est pas de mérites dont ils soient plus fiers que de ceux de l’intelligence, vu que c’est sur ceux-là que se fonde leur supériorité à l’égard des animaux. Il est donc de la plus grande témérité de leur montrer une supériorité intellectuelle marquée, surtout devant témoins. Cela provoque leur vengeance, et d’ordinaire ils chercheront à l’exercer par des injures, car ils passent ainsi du domaine de l’intelligence à celui de la volonté, sur lequel nous sommes tous égaux. Si donc la position et la richesse peuvent toujours compter sur la considération dans la société, les qualités intellectuelles ne doivent nullement s’y attendre ; ce qui peut leur arriver de plus heureux, c’est qu’on n’y fasse pas attention ; mais, autrement, on les envisage comme une espèce d’impertinence, ou comme un bien que son propriétaire a acquis par des voies illicites et dont il a l’audace de se targuer ; aussi chacun se propose-t-il en silence de lui infliger ultérieurement quelque humiliation à ce sujet, et l’on n’attend pour cela qu’une occasion favorable. C’est à peine si, par une attitude des plus humbles, on réussira à arracher le pardon de sa