Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/286

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naissance intuitive des choses, d’autre part l’éducation s’occupe à nous procurer des notions. Mais les notions ne nous donnent pas l’essence propre des choses ; celle-ci, qui constitue le fond et le véritable contenu de toutes nos connaissances, repose principalement sur la compréhension intuitive du monde. Mais cette dernière ne peut être acquise que par nous-mêmes et ne saurait d’aucune manière nous être enseignée. D’où il résulte que notre valeur intellectuelle, tout comme notre valeur morale, n’entre pas du dehors dans nous, mais sort du plus profond de notre propre être, et toute la science pédagogique d’un Pestalozzi ne parviendra jamais à faire d’un imbécile né un penseur : non, mille fois non ! imbécile il est né, il doit mourir imbécile. Cette compréhension contemplative du monde extérieur nouvellement offert à notre vue explique aussi pourquoi tout ce qu’on a vu et appris pendant l’enfance se grave si fortement dans la mémoire. En effet, nous nous y sommes occupés exclusivement, rien ne nous en a distraits, et nous avons considéré les choses que nous voyions comme uniques de leur espèce, bien plus, comme les seules existantes. Plus tard, le nombre considérable des choses alors connues nous enlève le courage et la patience. Si l’on veut bien se rappeler ici ce que j’ai exposé dans le deuxième volume de mon grand ouvrage, savoir : que l’existence objective de toutes choses, c’est-à-dire dans la représentation pure, est toujours agréable, tandis que leur existence subjective, est dans le vouloir, est fortement mélangée de douleur et de chagrin, alors on admettra bien, comme expression résumée de la chose,