Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/308

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une fois éteint, le véritable noyau de la vie est consumé, et qu’il ne reste plus que l’enveloppe, ou que la vie ressemble à une comédie dont la représentation, commencée par des hommes vivants, s’achèverait par des automates revêtus des mêmes costumes.

Quoi qu’il en soit, la jeunesse est le moment de l’agitation, l’âge mûr celui du repos : cela suffit pour juger de leurs plaisirs respectifs. L’enfant tend avidement les mains dans l’espace, après tous ces objets, si bariolés et si divers, qu’il voit devant lui ; tout cela l’excite, car son sensorium est encore si frais et si jeune. Il en est de même, mais avec plus d’énergie, pour le jeune homme. Lui aussi est excité par le monde aux couleurs voyantes et aux figures multiples : et son imagination lui attache aussitôt plus de valeur que le monde s’en peut offrir. Aussi la jeunesse est-elle pleine d’exigences et d’aspirations dans le vague, qui lui enlèvent ce repos sans lequel il n’est pas de bonheur. Avec l’âge, tout cela se calme, soit parce que le sang s’est refroidi et que l’excitabilité du sensorium a diminué, soit parce que l’expérience, en nous édifiant sur la valeur des choses et sur le contenu des jouissances, nous a affranchis peu à peu des illusions, des chimères et des préjugés qui voilaient et déformaient jusque-là l’aspect libre et net des choses, de façon que nous les connaissons maintenant toutes plus justement et plus clairement ; nous les prenons pour ce qu’elles sont, et nous acquérons plus ou moins la conviction du néant de tout sur terre. C’est même ce qui donne à presque tous les vieillards, même à ceux d’une intelligence fort ordi-