Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/310

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valeur réelle par l’absence des douleurs et non par la présence des plaisirs et encore moins du faste (Horace, l. I, ép. 12, v. 1-4). Le trait fondamental et caractéristique de la vieillesse est le désabusement ; plus de ces illusions qui donnaient à la vie son charme et à l’activité leur aiguillon ; on a reconnu le néant et la vanité de toutes les magnificences de ce monde, surtout de la pompe, de la splendeur et de l’éclat des grandeurs ; on a éprouvé l’infimité de ce qu’il y a au fond de presque toutes ces choses que l’on désire et de ces jouissances auxquelles on aspire, et l’on est arrivé ainsi peu à peu à se convaincre de la pauvreté et du vide de l’existence. Ce n’est qu’à soixante ans que l’on comprend bien le premier verset de l’Ecclésiaste. Mais c’est là ce qui donne aussi à la vieillesse une certaine teinte morose.

On croit communément que la maladie et l’ennui sont le lot de l’âge. La première ne lui est pas essentielle, surtout quand on a la perspective d’atteindre une vieillesse très avancée, car crescente vita, crescit sanitas et morbus. Et, quant à l’ennui, j’ai démontré plus haut pourquoi la vieillesse a moins à la redouter que la jeunesse : l’ennui n’est pas non plus le compagnon obligé de la solitude, vers laquelle effectivement l’âge nous pousse, pour des motifs faciles à saisir : il n’accompagne que ceux qui n’ont connu que les jouissances des sens et les plaisirs de la société, et qui ont laissé leur esprit sans l’enrichir et leurs facultés sans les développer. Il est vrai que dans un âge avancé les forces intellectuelles déclinent aussi ; mais, là où il y en a eu beaucoup, il en restera toujours assez