Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/42

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Rien ne met plus sûrement en garde contre ces égarements que la richesse intérieure, la richesse de l’esprit car celui-ci laisse d’autant moins de place à l’ennui qu’il approche davantage de la supériorité. L’activité incessante des pensées, leur jeu toujours renouvelé en présence des manifestations diverses du monde interne et externe, la puissance et la capacité de combinaisons toujours variées, placent une tête éminente, sauf les moments de fatigue, tout à fait en dehors de la portée de l’ennui. Mais, d’autre part, une intelligence supérieure a pour condition immédiate une sensibilité plus vive, et pour racine une plus grande impétuosité de la volonté et, par suite, de la passion ; de l’union de ces deux conditions résulte alors une intensité plus considérable de toutes les émotions et une sensibilité exagérée pour les douleurs morales et même pour les douleurs physiques, comme aussi une plus grande impatience en face de tout obstacle, d’un simple dérangement même.

Ce qui contribue encore puissamment à tous ces effets, c’est la vivacité produite par la force de l’imagination. Ce que nous venons de dire s’applique, toute proportion gardée, à tous les degrés intermédiaires qui comblent le vaste intervalle compris entre l’imbécile le plus obtus et le plus grand génie. Par suite, objectivement aussi bien que subjectivement, tout être se trouve d’autant plus rapproché de l’une des sources de malheurs humains qu’il est plus éloigné de l’autre. Son penchant naturel le portera donc, sous ce rapport, à accommoder aussi bien que possible l’objectif avec le subjectif, c’est-à-dire à se pré-