Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/58

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cela précisément parce qu’il cherche n’importe où une satisfaction venant du dehors ; tel l’homme épuisé espère trouver dans des consommés et dans des drogues de pharmacie la santé et la vigueur dont la vraie source est la force vitale propre. Pour ne pas passer immédiatement à l’extrême opposé, prenons maintenant un homme doué d’une puissance intellectuelle qui, sans être éminente, dépasse toutefois la mesure ordinaire et strictement suffisante. Nous verrons cet homme, quand les sources extérieures de plaisirs viennent à tarir ou ne le satisfont plus, cultiver en amateur quelque branche des beaux-arts, ou bien quelque science, telle que la botanique, la minéralogie, la physique, l’astronomie, l’histoire, etc., et y trouver un grand fonds de jouissance et de récréation. À ce titre, nous pouvons dire que son centre de gravité tombe déjà en partie en lui. Mais le simple dilettantisme dans l’art est encore bien éloigné de la faculté créatrice ; d’autre part, les sciences ne dépassent pas les rapports des phénomènes entre eux, elles ne peuvent pas absorber l’homme tout entier, combler tout son être, ni par conséquent s’entrelacer si étroitement dans le tissu de son existence qu’il en devienne incapable de prendre intérêt à tout le reste. Ceci demeure réservé exclusivement à la suprême éminence intellectuelle, à celle qu’on appelle communément le génie ; elle seule prend pour thème, entièrement et absolument, l’existence et l’essence des choses ; après quoi elle tend, selon sa direction individuelle, à exprimer ses profondes conceptions, par l’art, la poésie ou la philosophie.