Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/64

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analogue encore à son sens primitif, pour qualifier celui qui est l’opposé d’un fils des Muses (c’est-à-dire un homme qui est prosaïque). Celui-ci, en effet, est et demeure le « αμουσος ανηρ » (l’homme vulgaire). Me plaçant à un point de vue encore plus élevé, je voudrais définir les philistins en disant que ce sont des gens constamment occupés, et cela le plus sérieusement du monde, d’une réalité qui n’en est pas une. Mais cette définition d’une nature déjà transcendantale ne serait pas en harmonie avec le point de vue populaire auquel je me suis placé, dans cette dissertation ; elle pourrait, par conséquent, ne pas être comprise par tous les lecteurs. La première, au contraire, admet plus facilement un commentaire spécifique et désigne suffisamment l’essence et la racine de toutes les propriétés caractéristiques du philistin. C’est donc, ainsi que nous l’avons dit, un homme sans besoins spirituels.

De là découlent plusieurs conséquences : la première, par rapport à lui-même, c’est qu’il n’aura jamais de jouissances spirituelles, d’après la maxime déjà citée qu’il n’est de vrais plaisirs qu’avec de vrais besoins. Aucune aspiration à acquérir des connaissances et du jugement pour ces choses en elles-mêmes n’anime son existence ; aucune aspiration non plus aux plaisirs esthétiques, car ces deux aspirations sont étroitement unies. Quand la mode ou quelque autre contrainte lui impose de ces jouissances, il s’en acquitte aussi brièvement que possible, comme un galérien s’acquitte de son travail forcé. Les seuls plaisirs pour lui sont les sensuels ; c’est sur eux qu’il se rattrape. Manger des huîtres, avaler du