Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/72

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Rien de tout ce que nous venons de dire ne s’applique aux commerçants ; pour eux, l’argent est en lui-même l’instrument du gain, l’outil professionnel pour ainsi dire : d’où il suit que, même alors qu’ils l’ont acquis par leur propre travail, ils chercheront dans son emploi les moyens de le conserver ou de l’augmenter. Aussi la richesse est habituelle dans cette classe plus que dans aucune autre.

En général, on trouvera que, d’ordinaire, ceux qui se sont déjà colletés avec la vraie misère et le besoin, les redoutent incomparablement moins et sont plus enclins à la dissipation que ceux qui ne connaissent ces maux que par ouï-dire. À la première catégorie appartiennent tous ceux qui, par n’importe quel coup de fortune ou par des talents spéciaux quelconques, ont passé rapidement de la pauvreté à l’aisance ; à l’autre, ceux qui sont nés avec de la fortune et qui l’ont conservée. Tous ceux-ci s’inquiètent plus de l’avenir que les premiers et sont plus économes. On pourrait en conclure que le besoin n’est pas une aussi mauvaise chose qu’il paraît l’être, vu de loin. Cependant la véritable raison doit être plutôt la suivante : c’est que pour l’homme né avec une fortune patrimoniale la richesse apparaît comme quelque chose d’indispensable, comme l’élément de la seule existence possible, au même titre que l’air ; aussi la soignera-t-il comme sa propre vie et sera-t-il généralement rangé, prévoyant et économe. Au contraire, pour celui qui dès sa naissance a vécu dans la pauvreté, c’est celle-ci qui semblera la condition naturelle ; la richesse, qui, par n’importe quelle voie, pourra lui échoir plus tard, lui paraîtra un superflu, bon seulement pour en jouir et la