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APRIORITÉ DE LA NOTION DE CAUSALITÉ

cérébral du monde matériel pour lequel les sensations lui fournissent simplement quelques données. De plus, il exécute cette opération à lui tout seul, en vertu de sa forme propre, qui est la loi de la causalité, et par conséquent tout à fait immédiatement et intuitivement, sans le secours de la réflexion, c’est-à-dire de la connaissance abstraite, acquise au moyen des notions et des mots qui sont les matériaux de la connaissance secondaire, c’est-à-dire de la pensée et par conséquent de la raison.

Il est encore un fait qui vient corroborer notre assertion que la connaissance par l’entendement est indépendante de la raison et de son concours : c’est que quand il arrive parfois que l’entendement attribue à des effets donnés une cause inexacte, qu’il perçoit nettement, d’où résulte la fausse apparence, la raison aura beau reconnaître exactement, in abstracto, le véritable état de choses, elle ne pourra lui être d’aucun secours ; la fausse apparence persistera, malgré la connaissance plus vraie acquise par la raison. De telles apparences sont, par exemple, la vision et l’impression tactile doubles, dont nous avons déjà parlé, par suite d’un déplacement des organes du sens de leur position normale ; c’est également l’aspect de la lune, dont nous avons aussi parlé, paraissant plus grosse à l’horizon ; en outre, l’image formée au foyer d’un miroir concave et qui se présente exactement comme un corps solide suspendu dans l’espace ; le relief imité par la peinture et que nous prenons pour véritable ; le rivage ou le pont sur lequel nous sommes placés et qui semble marcher pendant qu’un navire passe ; les hautes montagnes qui nous