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KANT ET L’APRIORITÉ DU CONCEPT DE CAUSALITÉ

d’après laquelle des états succèdent les uns aux autres, que l’on peut reconnaître l’objectivité d’un changement. Et le résultat de son assertion serait que nous ne percevons aucune succession dans le temps comme objective, excepté celle de cause et effet, et que toute autre série de phénomènes perçue par nous n’est déterminée de telle façon et non d’une autre que par notre seule volonté. Je prétends, contrairement à tout cela, que des phénomènes peuvent très bien se suivre, sans s’ensuivre[1]. Et cela n’apporte aucun préjudice à la loi de la causalité. Car il reste certain que tout changement est l’effet d’un autre changement, puisque cela est établi à priori ; seulement il ne succède pas simplement à ce changement unique qui est sa cause, mais à tous les autres qui existent simultanément avec cette cause et avec lesquels il n’a aucun lien causal. Je ne le perçois pas exactement dans l’ordre de la succession des causes, mais dans un ordre tout autre, qui n’en est pas moins objectif et qui est très différent d’un ordre subjectif, dépendant de ma seule volonté, comme serait par exemple la succession des pures images de ma fantaisie. La succession, dans le temps, d’événements qui n’ont pas entre eux de lien causal, est précisément ce qu’on appelle le hasard, en allemand Zufall, qui dérive de zusammenfallen, en français : coïncider, coïncidence de ce qui n’est pas conjoint ; comme en grec : τὸ συμϐεϐηϰός [sumbebekos] dérive de συηϐάινειν [sumbainein]. (Comp. Artist., Anal. post., I, 4.) Je sors

  1. Schopenhauer dit : « auf einander folgen, ohne auseinander zu erfolgen. » Il y a là une double paronymie que j'ai essayé de rendre ; on pourrait traduire moins cacophoniquement : se suivre, sans dérouler les uns des autres. (Le Trad.)