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KANT ET L’APRIORITÉ DU CONCEPT DE CAUSALITÉ

Kant impose l’impossible à l’entendement, rien que pour se passer le plus possible de la sensibilité.

Comment concilier cette affirmation de Kant que l’objectivité de la succession ne peut être reconnue que par la nécessité de la succession de cause et effet, avec cette autre proposition (Critique de la raison pure, 1re éd., p. 203) que la succession est l’unique critérium expérimental pour distinguer, entre deux états, lequel est cause et lequel effet ? Le cercle vicieux n’est-il pas manifeste ?

Si l’objectivité de la succession ne pouvait être reconnue qu’au moyen de la causalité, on ne pourrait se la représenter par la pensée que comme causalité, et elle serait identique avec celle-ci. Car, si elle était autre chose, elle aurait aussi d’autres critériums qui pourraient la faire reconnaître, ce que Kant nie précisément. Donc, si Kant avait raison, on ne pourrait pas dire : « Cet état-ci est l’effet de celui-là, donc il le suit. » Car « suivre » et être effet ne seraient qu’une seule et même chose, et la proposition ci-dessus constituerait une tautologie. Quand on supprime ainsi toute différence entre suivre et s’ensuivre, on donne raison à Hume, qui soutenait que résulter n’est que suivre et qui, par conséquent, niait aussi qu’il existât quelque différence entre les deux.

La démonstration de Kant devrait donc se borner à montrer que nous ne reconnaissons expérimentalement que la réalité de la succession ; mais, attendu qu’en outre nous reconnaissons aussi la nécessité de la succession dans certains ordres d’événements, et que nous savons,