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APPENDICE

dans cette condition il ne connaît ni ne comprend d’autre intérêt que celui de la vérité : de là naît une haine irréconciliable contre tout mensonge et toute fourberie, quelque habit qu’ils portent. Avec cela, il est certain qu’on n’avancera pas beaucoup dans le monde, mais d’autant plus en philosophie. — Il est au contraire d’un mauvais augure pour celle-ci, lorsque, partant soi-disant à la recherche de la vérité, l’on débute par prendre congé de toute sincérité, de toute probité et de toute clarté, et qu’on ne se préoccupe que de se faire passer pour ce qu’on n’est pas. Alors on adopte, comme les trois sophistes mentionnés, tantôt un faux pathos, tantôt un sérieux élevé et artificiel, tantôt une mine immensément réfléchie, pour en imposer là où l’on désespère de pouvoir convaincre ; on écrit sans jugement, parce que, ne pensant qu’afin d’écrire, on a omis de penser jusqu’au moment de prendre la plume ; on cherche alors à passer en contrebande des sophismes palpables en place de preuves ; on en appelle à l’intuition intellectuelle ou à des méditations absolues et au mouvement propre des notions ; on abhorre le terrain de la réflexion, c’est-à-dire de la connaissance raisonnée, de la délibération judicieuse et de l’exposition de bonne foi, en un mot l’usage propre et normal de sa raison ; on proclame un mépris souverain pour la philosophie réfléchie, en désignant par là toute suite de pensées bien enchaînées et bien logiques dans leurs déductions, telles qu’elles caractérisent les travaux des philosophes antérieurs. Ensuite, quand la dose d’impudence est suffisante et, de plus, encouragée par l’ignorance de l’époque,