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vi. fragments divers

pression que nous produisons nous-mêmes sur la personne observée, bref, le moindre élément subjectif qui intervient dans notre examen suffit à brouiller et à fausser l’aspect de l’hiéroglyphe. De même qu’on ne perçoit vraiment le son d’une langue que si on ne la comprend pas, parce qu’autrement le signe est aussitôt effacé de la conscience par la chose qu’il signifie, de même, pour voir réellement la physionomie d’une personne, il faut qu’elle nous soit encore étrangère, c’est-à-dire que nous ne soyons pas familiarisés avec son visage pour avoir rencontré cette personne ou, à plus forte raison, pour lui avoir parlé déjà à mainte reprise. Strictement parlant, on n’a donc l’impression purement objective d’un visage, et par suite la possibilité de le déchiffrer, qu’au premier coup d’œil. Les odeurs ne nous affectent qu’au moment où elles nous arrivent ; nous ne percevons réellement la saveur d’un vin qu’au premier verre ; pareillement, nous ne ressentons pleinement l’impression d’un visage que la première fois que nous le voyons.

Celui qui est doué de sens physionomique doit ainsi être très attentif aux témoignages particulièrement sûrs et véridiques qu’il recueillera avant d’avoir fait plus ample connaissance avec la personne